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Classes inversées, Flipped Classrooms … Ca flippe quoi au juste ?

Dans ce blog, nous avons déjà eu l’occasion maintes fois de vous parler des dispositifs hybrides et des Flipped Classrooms, les classes inversées. Voici quelques billets préliminaires à notre sujet :

5 facettes pour construire un dispositif hybride : du concret !

Après une introduction à la notion de dispositif hybride pour enseigner et apprendre, nous donnons quelques conseils concrets  “pour enseigner et pour favoriser l’apprentissage en ligne” basés sur les 5 facettes de “notre” modèle pragmatique d’apprentissage. J’illustre ce modèle dans un autre billet “J’enseigne moins, ils apprennent mieux“.

Dispositif Hybride, flipped classroom … suite

Dans un précédent billet, je définissais la notion d’hybridation … pour être bref, un mélange fertile d’enseignement et d’apprentissage traditionnels et d’enseignement et d’apprentissage à distance.

Et finalement :  J’enseigne moins, ils apprennent mieux …

Des lecteurs de ce Blog m’ont demandé de présenter un dispositif concret où je mets en action les cinq facettes de mon modèle d’apprentissage ou encore l’intégration des compétences dans l’enseignement … Voici une présentation de l’un de mes cours, un dispositif hybride dans lequel je mets en pratique ces idées (une version antérieure de cette présentation a été publiée dans notre journal “Résonances” de janvier 2011). Je l’ai écrite sous la forme d’une interview … que je me fais à moi-même … une opération de réflexivité !

Un point de synthèse

Le concept, ou en tout cas l’appellation de Flipped Classrooms, est apparu vers 2007 quand deux enseignants en chimie dans le secondaire, Jonathan Bergman et Aaron Sams ont découvert le potentiel de vidéos (PowerPoint commentés, Screencast, Podcast …) pour motiver leurs élèves à préparer les leçons en classe afin de rendre ces dernières plus interactives : Lectures at Home and HomeWork in Class, le slogan était lancé. L’air de rien, cette méthode est à la fois une petite révolution par rapport à l’enseignement dit traditionnel (le magistral, l’enseignement ex cathedra) et une piste d’évolution acceptable et progressive pour les enseignants qui souhaitent se diriger vers une formation davantage centrée sur l’apprenant, ses connaissances et ses compétences.

L’hybridation que proposent les Flipped Classrooms est une voie intéressante pour les institutions qui se cherchent (pas trop longtemps, j’espère) ou qui cherchent une planche de salut (oui, je pense qu’on en est là) devant l’efflorescence des MOOC (la virtualisation de l’enseignement traditionnel encore trop présent) et le potentiel des PLE (Personal Learning Environment) en matière d’activités d’appropriation et d’interactivités. Plus précisément, à l’instar des réseaux dans lesquels nous sommes inscrits, les institutions ont grand intérêt à établir de tels réseaux (entre les universités et au sein des régions voire en inter-région) … des associations d’universités comme celles présentes dans Coursera montrent le chemin et ne pas le prendre présente un péril non négligeable pour l’avenir des institutions à l’ère numérique.

Autour de ce concept de Flipped Classrooms, les variations sont infinies et nous vous en proposons une définition alternative plus large (une définition construite avec un mémorant, Antoine Defise) : Une « flipped classroom » ou « classe inversée » est une méthode pédagogique où la partie transmissive de l’enseignement (exposé, consignes, protocole,…) se fait « à distance » en préalable à une séance en présence, notamment à l’aide des technologies (ex. : vidéo en ligne du cours, lecture de documents papier, préparation d’exercice,…) et où l’apprentissage basé sur les activités et les interactions se fait « en présence » (ex. : échanges entre l’enseignant et les étudiants et entre pairs, projet de groupe, activité de laboratoire, séminaire,…).

La figure ci-dessous (et la suivante) montre combien cette méthode articule présence-distance (avec des paramètres de mobilité et flexibilité) et enseigner-apprendre. Dans le paradigme traditionnel, l’enseignement (dans sa partie transmissive) se fait en présence (le cours a lieu à telle heure dans tel amphi) et l’apprentissage se fait à la maison, au kot (la chambre d’étudiant en Belge, pensons aux devoirs, au blocus …).

Clairement, les Flipped Classrooms évacuent, si on peut dire, la partie transmissive hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage et de co-apprentissage. Il en résulte aussi une révision des statuts des savoirs (en particulier ceux de nature informelle), des rôles assumés par les étudiants et les enseignants … En outre, nul besoin de flipper tout son enseignement en une fois : une activité parmi d’autres, quelques semaines sur le quadrimestre. De quoi expérimenter et évoluer en douceur. Malgré l’origine initiale de la méthode, une Flipped Classrooms, ce n’est pas juste une vidéo avant le « cours » et du débat pendant le « cours ».

(1) Recherche d’informations, lecture d’un article, d’un chapitre, d’un blog …, préparation d’une thématique à exposer, interviews ou micro-trottoirs … à réaliser seul ou en groupe avant une séance en présentiel. Le résultat des investigations peut être déposé dans un dossier sur une plateforme, des avis, opinions, commentaires, questions … peuvent être déposés sur un forum, la vidéo réalisée peut être déposée sur YouTube …

(2) Présentation de la thématique, débat sur des articles lus, analyse argumentée du travail d’un autre groupe, création d’une carte conceptuelle commune à partir des avis, opinions, commentaires … récoltés, mini-colloque dans lequel un groupe présente et un autre organise le débat … pendant le moment (l’espace-temps) du présenciel …

Les « inventeurs » des Flipped Classrooms, Jonathan Bergman et Aaron Sams, expriment bien les transformations, les flips,  induites par cette méthode (voir par exemple le site The Daily Riff) :

The Flipped Classroom IS :

  • A means to INCREASE interaction and personalized contact time between students and teachers.
  • An environment where students take responsibility for their own learning.
  • A classroom where the teacher is not the « sage on the stage », but the « guide on the side ».
  • A blending of direct instruction with constructivist learning.
  • A classroom where students who are absent due to illness or extra-curricular activities such as athletics or field-trips, don’t get left behind.
  • A class where content is permanently archived for review or remediation.
  • A class where all students are engaged in their learning.
  • A place where all students can get a personalized education.

The Flipped Classroom is NOT :

  • A synonym for online videos. When most people hear about the flipped class all they think about are the videos.  It is the the interaction and the meaningful learning activities that occur during the face-to-face time that is most important.
  • About replacing teachers with videos.
  • An online course.
  • Students working without structure.
  • Students spending the entire class staring at a computer screen.
  • Students working in isolation.

Mes Flips à moi

Lors d’une conférence récente, Forum@TICe à Reims en 2012, j’ai proposé ma compréhension des divers flips qu’entraînent les Flipped Classrooms. Ils en font selon moi, une véritable « Killer Apps pédagogique » dont les institutions d’enseignement (de l’école à l’université) devraient s’emparer rapidement. Il s’agit aussi d’un tournant décisif par rapport à l’enseignement traditionnel (ex cathedra) hérité d’une époque où le livre était rare et d’une occasion de mutation pour les enseignants qui veulent (à juste titre d’ailleurs) transmettre les (leurs) connaissances tout en développant les plus que jamais nécessaires compétences. Les savoirs traditionnellement transmis ne « valent plus grand-chose » comme le montrent les MOOC (Massive Online Open Courses) dans lesquels les « cours » des plus prestigieuses universités sont distribués gratuitement. Il nous faut donc flipper vers des dispositifs pédagogiques à hautes valeurs ajoutées et les Flipped Classrooms sont une modalité transitoire (en terme de développement professionnel des enseignants) de cette évolution.

1) Mieux utiliser les espaces (mobilité, présence-distance) et les temps (flexibilité, synchrone-asynchrone) de l’enseigner et de l’apprendre (flipper l’espace-temps)

Je pense qu’il s’agit là de l’apport Number 1 des technologies actuelles : vaincre les contraintes de l’espace-temps. Un emétaphore d’ancien physicien sans doute après celle de l’ordre et du désordre.

2) Proposer une formation plus individualisée et davantage en résonance avec les rythmes, les styles et les activités de chacun (flipper approches globales-analytiques, surface-profondeur). Le principe de variété n’est pas loin ! On apprend de différentes façons avec souvent l’un ou l’autre mode priviligié … On apprend en écoutant, en imitant, en expérimentant, en explorant, en se trompant …en réfléchissant sur sa façon d’apprendre et celle des autres. Le Learning by doing est une façon d’apprendre, une !

Leclercq, D. & Poumay, M. (2005) The 8 Learning Events Model and its principles. Release 2005-1. LabSET.
University of Liège, available at http://www.labset.net/media/prod/8LEM.pdf p 10/11

3) Mieux balancer la nécessaire transmission des savoirs et le développement des savoir-faire et savoir-être, des compétences et de l’apprendre à apprendre (flipper les savoirs et les taxonomies, proposer des situations problèmes qui convoquent les savoirs). Faut-il nécessairement avoir toutes les connaissances nécessaires … pour analyser, créer, faire des hypothèses … ? La taxonomie de Bloom peut se retrouver sur sa pointe comme le montre l’apprentissage par problèmes : une situation complexe, authentique, contextualisée … est l’occasion de convoquer les savoirs nécessaires à sa réalisation ou à sa résolution. Les savoir-faire (analyser la situation et son contexte, préciser les questions qui se posent, émettre des hypothèses, évaluer leur pertinence …) peuvent précéder les savoirs !

4) Rendre les étudiants davantage actifs et interactifs, plus impliqués (flipper transmission et appropriation). Pensons-nous vraiment que nous allons développer les compétences de nos référentiels en donnant (uniquement) des cours magistraux ! Je pense qu’ils sont révolus et qu’ils ne peuvent plus, à eux-seuls constituer le « patrimoine pédagogique » d’une institution : ils sont distribués gratuitement au travers des MOOC. Quelles valeurs ajoutées allons-nous proposer ? Rencontrer des enseignants ? Des étudiants en formation à distance nous disent avoir trouvé plus de présence dans ces cours que dans les cours en amphi. Confondrions-nous présence et proximité ? Confondrions-nous distance et absence ?

D’autres billets de ce Blog vous documenteront là-dessus :

Les compétences et les « CCC » : Capacités, Contenus et Contextes, Learning Outcomes, apprentissage et dispositif, approche programme …

et aussi :  Comprendre l’apprentissage pour enseigner … J’enseigne oui, mais apprennent-ils ?

5) Répondre à des questions que les étudiants se posent plutôt que de leur donner des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas (flipper les rôles, flipper les savants et les ignorants)

Plus que des terriens (qui suivent les cartes routières), ce sont des marins que nous allons devoir former. Michel Fabre nous dit : « Nous étions terriens dans un monde stable ; nous sommes devenus marins dans un monde héraclitéen où tout est changement, déconstruction et reconstruction … L’éducation doit s’adapter à ce monde problématique. La transmission des savoirs anciens devient inutilisable ; il faut “renoncer à chercher la certitude dans des référentiels fixes ”
• la carte, —l’expérience, les savoirs antérieurs, ces certitudes devenues provisoires— et
• la boussole —le questionnement, le doute, la problématisation—, pour que les jeunes s’orientent sur la carte et, surtout, puissent y ouvrir d’autres chemins. (Michel Fabre, 2011).

Andreas Schleicher (OCDE) nous dit : We live in a fast-changing world, and producing more of the same knowledge and skills will not suffice to address the challenges of the future. A generation ago, teachers could expect that what they taught would last their students a lifetime. Today, because of rapid economic and social change, schools have to prepare students for jobs that have not yet been created, technologies that have not yet been invented and problems that we don’t yet know will arise.


6) Apprendre aux étudiants à enseigner toute la vie durant (un autre flip de l’enseigner-apprendre). Les exercices de compétences proposés en classe (communiquer, argumenter, présenter ces trouvailles …) prépareront les étudiants à enseigner toute la vie durant. Tous, nous dit-on, nous devons apprendre toute la vie durant, apprendre à apprendre toute la vie durant. Mais qui seront nos formateurs ? Nous bien sur ! Apprendre à enseigner ne peut plus continuer à être une pièce rapportée sur le tronc des matières enseignées ou à enseigner. Apprenons à enseigner tout au long de notre apprentissage. Les communautés d’apprentissage sont aussi des communautés de (co-)formation.

7) Pour les enseignants, leur permettre une appropriation (un développement professionnel) progressive … nul besoin de tout « flipper » en une fois. L’enseignant peut commencer par une ou deux semaines de Flipped Classrooms dans son « cours », plusieurs fois une ou deux semaines au long de son cours, hybrider complètement son dispositif …

Forum@Tice 2012

Voici pour terminer la vidéo tournée à Reims : Forum@Tice « Apprendre à l’ère du numérique » (3 octobre 2012)


N’hésitez pas à commenter (Laisser un commentaire, ci-dessous), à donner la description de votre classe inversée à vous, de proposer d’autres flips que vous avez constatés … et à faire suivre ce billet s’il vous a plu !

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Ordre et désordre dans l’enseignement et l’apprentissage avec le numérique

Apprendre, apprendre à « apprendre » et … apprendre à « apprendre à apprendre »

Plusieurs d’entre vous le savent : je suis physicien de formation initiale issu du domaine des particules élémentaires (ce que ne sont pas nos étudiants, n’est-ce pas ?), devenu technopédagogue par déformation, réformation … successives. Ceci peut expliquer en partie l’utilisation que je fais de certains concepts pédagogiques et scientifiques, dans un amalgame salutaire entre sciences exactes et sciences humaines. Un diapo d’une récente conférence témoigne de ma quête à la recherche de dialogues, de tierces places entre philosophie, éducation, sciences et histoire : Des espaces-temps pour enseigner et apprendre

Ici, je m’étendrai un peu sur les notions d’ordre et de désordre dont j’ai initié les contextualisations pédagogiques dans des vidéos, des causeries avec mon collègue et ami Christophe Batier : la mayonnaise pédagogique, l’analyse d’un scénario connectiviste

Quelques éléments extraits de ces causeries :

  • Enseigner, c’est mettre en place des conditions, des circonstances, des environnements où l’étudiant, l’apprenant pourra apprendre …
  • C’est une condition nécessaire, mais elle est loin d’être suffisante …
  • Apprendre, c’est mettre de l’ordre dans le désordre, dans son désordre …
  • Un bon enseignement avec les TICe, c’est d’abord un bon enseignement. (point)
  • Apprendre en groupe, en réseau … c’est avant tout apprendre en soi.
  • Etre compétent, c’est activer des savoir-agir sur des contenus dans des contextes différents …
  • Systémique ? Pour que les TICe aient un impact positif (des valeurs ajoutées) sur la pédagogie (l’apprentissage), il faut que la pédagogie (le dispositif mis en place) change

Ce sont des discussions qui ont été répercutées dans plusieurs médias, sites et blogs dont :

–       Thot Cursus … http://bit.ly/nmOm1m

–       Apprendre 2.0 … De l’ordre et du désordre

A. Quelques éléments « théoriques » sur l’ordre et le désordre

1. Moi, j’enseigne à un élève « moyenne des élèves de ma classe »

Le déterminisme influence profondément nos façons de penser. Finalement, il est rassurant en nous permettant de prévoir le résultat de nos actions. Si je fais comme cela, alors … Si j’enseigne comme ceci, si j’utilise tel outil … alors … Laplace disait : nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux (Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, 1814). Ce déterminisme, originaire des sciences exactes, a été largement adopté par d’autres sciences … au risque de la perte d’une vue systémique pourtant bien nécessaire dans les problématiques humaines qui nous concernent. Les variables dépendantes influent parfois sur les variables indépendantes qui dès lors ne le restent guère.

Retour pédagogique : on voit bien l’impact de ceci sur l’enseignement programmé, certaines formes traditionnelles d’enseignement (donner des signes, expliquer clairement le chemin, mettre sous son enseigne), certaines formes d’ingénierie pédagogique qui proposent des « autoroutes » pédagogiques au détriment des errances voire des erreurs nécessaires à l’apprentissage (la carte au lieu de la boussole, le gps en place du guide touristique) … Cette modélisation reste donc pour moi d’un modèle à l’ordre “zéro” qui peut expliquer de larges tendances, des principes généraux … Le premier terme d’un développement en série dont les suivants permettront de rencontrer tout à la fois le détail et la variété …

2. J’enseigne, oui … mais apprennent-ils, eux si différents ?

Oui, mais les étudiants ne sont pas des particules élémentaires (!) qui s’orientent dans la direction du champ magnétique de l’enseignement. On le saurait !, et les faibles taux de réussite de nos étudiants dans les premières années contredisent cette évidence : J’enseigne, oui … mais apprennent-ils ? Pour le moins, des fluctuations sont observées et elles conduisent à développer notre modèle « de communication unilatérale » plus loin. Poincaré (par exemple) dit : une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard…Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous dirons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux… (Henri Poincaré, Science et méthode, 1908)

Même Bénabar est d’accord : « C’est l’effet papillon … petites causes, grandes conséquences »

Retour pédagogique : la connaissance très exacte des conditions initiales est quelque peu illusoire et ceci implique que de petites incertitudes peuvent conduire à des effets divers, variés, amples … L’effet “papillon” pédagogique est inscrit dans la variété des conditions initiales, ici, les pré-acquis des étudiants, les compétences variées dont ils disposent, les styles d’apprentissage et de communication tout aussi variés. L’enseignant met de l’énergie dans le système mais les effets sont pour le moins différents allant d’étudiants qui décrochent à d’autres qui feront une carrière exceptionnelle. Le principe de variété dans le dispositif pédagogique pourrait y répondre. Fatalité ?

3. Enseigner, faire jaillir l’ordre du désordre – Apprendre, mettre de l’ordre dans son désordre

Allant plus loin encore, Prigogine (prix Nobel belge) a étudié ces structures de désordre associées à la notion d’entropie et aussi au fait que (globalement mais non nécessairement localement) cette entropie ne peut que croître. Il écrit : les développements récents de la physique et de la chimie de non équilibre montrent que la flèche du temps peut être une source d’ordre. Il en était déjà ainsi dans des cas classiques simples, comme la diffusion thermique. Bien sûr, les molécules mettons d’hydrogène et d’azote au sein d’une boite close, évolueront vers un mélange uniforme. Mais chauffons une partie de la boite et refroidissons l’autre. Le système évolue alors vers un état stationnaire dans lequel la concentration de l’hydrogène est plus élevée dans la partie chaude et celle de l’azote dans la partie froide. L’entropie produite par le flux de chaleur, qui est un phénomène irréversible, détruit l’homogénéité du mélange. C’est donc un processus générateur d’ordre, un processus qui serait impossible sans le flux de chaleur. L’irréversibilité mène à la fois au désordre et à l’ordre (Ilya Prigogine, la Fin des certitudes, 1996)

Retour pédagogique : les systèmes complexes (« le monde », « l’apprenant », les autres, nous …) présentent des tendances moyennes déterminées (la thermodynamique ou encore la physique statistique utilisent de telles variables globales : température, pression …) mais aussi des variations locales (les molécules étant dotées de toute une distribution de vitesses, nos étudiants étant différents …). Ils ont la propriété de transformer l’énergie insufflée (les enseignants verront de quoi je parle) en désordre (le principe de l’entropie galopante n’est pas loin). Cependant, dans certains cas, sous certaines conditions, en présence d’éléments critiques, certains systèmes complexes (nos étudiants, nos apprenants, des systèmes microscopiques ou macroscopiques) génèrent pourtant bien des structures ordonnées de connaissances, de compétences, d’attitudes … Ces structures construites, dans une résonance entre des facteurs internes et externes, sont ainsi davantage aptes à être activées dans des contextes variés de la vie quotidienne, de la vie socio-professionnelle, de la vie … L’être humain lui-même est une telle structure née d’un chaos moléculaire et génétique démarré lors du Big Bang … Pour Prigogine, ces structures, qu’il appelle dissipatives, ont la propriété de transformer cette énergie entrante en structures auto-organisées (on parle dans certains cas et dans des domaines variés d’autopoïèse). Cela veut dire que plonger l’étudiant dans des dispositifs désordonnés (sans connotation négative) mais riches et variés (en entrée, par les ressources et outils mis à disposition, par les contextes qui sont convoqués dans la situation pédagogique et en sortie, par les compétences auxquelles ils vont contribuer) peuvent être fertiles potentiellement en termes d’apprentissage des étudiants. Réfléchir à ces conditions et contextes (ma définition initiale d’enseigner) est l’affaire des enseignants.

B. Enseigner et apprendre, en avant toute … à l’ère numérique

Pour Piaget (un pédagogue cette fois), apprendre c’est organiser les apports d’informations et faire évoluer ses propres représentations actuelles en d’autres structures cognitives plus fécondes pour comprendre le monde et agir ainsi sur lui (assimilation et accommodation). Les neurosciences ont bien montré que les experts de la recherche sur le Web mobilisent des structures cérébrales (liées au choix, à la prise de décision) non présentes chez les novices. Pour Vigotski, apprendre c’est faire passer les éléments interpersonnels (le résultat d’un travail de groupe, la culture d’une société, les habitudes …) de l’environnement au niveau intrapersonnel … tout un travail, qui coûte de l’énergie quoi qu’on en dise !

Apprendre à apprendre à l’ère des réseaux et du connectivisme (Siemens), une théorie en filiation aussi avec les théories du Chaos, c’est pourtant d’abord et avant tout apprendre et ces principes d’intériorisation restent indispensables pour permettre à l’individu de se structurer, de se développer, de se positionner par rapport à d’autres structures complexes de la vie sociale, professionnelle, économique, scientifique … et ceci même si (ou d’autant plus que) notre mémoire est de plus en plus externalisée. Allons-nous perdre la mémoire ? Socrates se posait déjà la question à propos d’une merveilleuse invention technologique : l’écriture.

Socrates : Le dieu Theuth, inventeur de l’écriture, dit au roi d’Égypte : « Voici l’invention qui procurera aux Égyptiens plus de savoir et de mémoire : pour la mémoire et le savoir j’ai trouvé le remède [pharmakon] qu’il faut » – Et le roi répliqua : « Dieu très industrieux, autre est l’homme qui se montre capable d’inventer un art, autre celui qui peut discerner la part de préjudice et celle d’avantage qu’il procure à ses utilisateurs. Père des caractères de l’écriture, tu es en train, par complaisance, de leur attribuer un pouvoir contraire à celui qu’ils ont. Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d’exercer leur mémoire, c’est l’oubli qu’ils introduiront dans leurs âmes : faisant confiance à l’écrit, c’est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu’ils se ressouviendront ; ce n’est donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède (Platon, Phèdre, 274e-275a)

Pourtant même ces discours dialectiques des technologies considérées comme un remède et (conjonction) un poison me semblent vaines (et vous, c’est le côté obscur ou le côté clair de la Force). Une approche médiane de doutes et d’incertitudes (inconfortable donc), une approche systémique aussi de recherche d’équilibres, d’ancrage aux fondements de la pensée, de cohérence entre les objectifs et les moyens, les méthodes … me semblent indispensable.

Lectures variées de tout cela :

On a donc en présence, d’un côté, l’individu qui apprend (« moi ») et de l’autre, l’enseignant, l’environnement, le « monde » … Par autopoïèse (génération de soi-même)[1], l’individu va tout à la fois maintenir (assimilation), modifier et restructurer (accommodation) ses propres structures cognitives … Le « monde » agit sur lui, il se transforme et devient, en retour, de plus en plus apte à modifier le « monde ». Vigotski avait décrit ce cheminement de l’interpersonnel à l’intrapersonnel en mettant en avant le rôle des outils (le langage, par exemple) comme médiateur de ces changements. Des outils qui nous donnent accès au monde, des instruments aussi qui fécondent notre intelligence (une distinction outil/instrument inspirée de Rabardel). N’a-t-on pas décrit plus tard, dans les années 80, le rôle de l’ordinateur comme un pont entre les connaissances et l’individu, entre l’individu et la société, comme un canal entre la société et l’école en rendant davantage transparents les murs de la classe … Encore faudra-t-il que l’école reste un lieu « d’écolage » pour la société numérique complexe ! Il reste à l’apprenant à apprendre, à prendre pour soi. De l’interaction à l’énaction[2], tel est le premier mouvement. Le rôle de l’enseignant est alors de « donner les signes, les balises », de didactiser les contenus pour les rendre appréhendables, assimilables ou encore accommodables par l’individu qui apprend.

Web 2.0, deuxième mouvement …

Cette nécessaire activité de l’apprenant, cette implication socio-constructiviste donc, allait encore être amplifiée par les courants de pédagogie active, par le Learning by doing pour lesquels le système « englobant » avait pour rôle d’initier macroscopiquement (par le dispositif pédagogique mis en place) ces processus microscopiques de « remise en ordre », l’écolage par l’école en quelque sorte. Encore une fois « enseigner, c’est mettre en place des conditions dans lesquelles l’apprenant peut apprendre ». L’utilisateur, l’apprenant passif allait très vite s’émanciper, les outils lui permettant très vite de produire, de participer, de partager, de contribuer au « monde » dans un vaste processus de création d’intelligence collective ou a minima de connaissances partagées … des connaissances de plus en plus nombreuses, de moins en moins générales, de plus en plus éphémères. Le « savoir » construit, validé, stabilisé allait se voir complété par des savoirs plus informels, des savoirs d’action, des savoirs « de pratiques », des savoirs d’interaction. Les systèmes duaux « producteur-valideur », « utilisateur-producteur », « apprenant-enseignant » allaient devenir de plus en plus fractals, l’utilisateur devenant producteur, le producteur utilisateur, l’apprenant devenant enseignant, l’enseignant apprenant[3], la validation provenant du collectif dans un mécanisme d’auto-validation à l’échelle du système. Un objet fractal est un objet dont chaque élément est aussi un objet fractal, un tautologisme qui nous dit qu’à la limite et dans cette image, la structure des connaissances du « monde » est, en potentiel, notre structure de connaissance et vice-versa … Une autre approche de connectivisme sans doute, une description fertile des systèmes complexes, que nous sommes, en tout cas. C’est ici le deuxième mouvement, celui qui va de nous tous vers notre structure commune d’intelligence, de connaissances en tout cas. Dans ce paradigme, apprendre à apprendre devient évidemment plus important qu’apprendre « tout simplement » : A real challenge for any learning theory is to actuate known knowledge at the point of application. When knowledge, however, is needed, but not known, the ability to plug into sources to meet the requirements becomes a vital skill. As knowledge continues to grow and evolve, access to what is needed is more important than what the learner currently possesses (Georges Siemens). Un savoir-agir « instruit » plus déterminant que le savoir. Un savoir « où et quand » davantage activé par nos recherches « sérendipitiques » que les savoirs et savoir-faire intériorisé. Apprendre à apprendre (apprendre au carré ou apprendre 2.0) avec l’outil Web 2.0, tel reste le défi ! Apprendre à apprendre, même si l’objet de l’apprentissage change dans un passage subtil du contenu (les connaissances désormais accessibles) à la méthode (trouver les connaissances, les adapter à son problème, modéliser les réponses, les rediffuser dans le champ partagé des connaissances), reste tout d’abord apprendre, dans une interaction stabilisatrice entre le monde (Le Web 2.0 porteur de contenus et de méthodes) et moi, et nous. Finalement, quitte à être provocant, on n’apprend pas en groupe, on n’apprend pas en ligne … on apprend en soi. Ces deux mouvements entre le sujet et l’objet, entre moi et le monde décrivent bien évidemment la structure systémique dont nous avons parlé plus haut. Pour Michel Serres, les nouvelles technologies ont poussé l’homme à externaliser sa mémoire et le condamnent à devenir intelligents.. Il nous faudra donc être inventifs, intelligents, transparents pour être des acteurs de cette nouvelle période de l’Histoire.

Oui, mais alors, apprendre à apprendre ?

Que mettre en place pour que nos étudiants et nous tous « apprenions à apprendre » ? Quels seront les contextes, les conditions, les incidents critiques qui nous permettront d’apprendre cela ? Qui ou que seront nos enseignants ? Quel(s) enseignant(s) ? Quelle(s) place(s) pour les enseignant(s) ? Quelle(s) formation(s) pour les enseignants ? Quelle(s) place(s) pour les savoir(s), pour les compétence(s), pour le(s) expertise(s), pour les valeurs dont le monde a pourtant bien besoin ? Que faire pour que les structures de désordre générées par le bouillonnement collectif (l’énergie insufflée à l’envers, de l’utilisateur vers le système, vers le Web 2.0, vers le monde) soient utilisables, fertiles, fécondes ? Quelle nécessaire didactisation du Web pour qu’il puisse participer à notre enseignement ? Quel retour des technologies issues de l’intelligence des humains vers notre intelligence à chacun ? Nous apprenions si mal de l’histoire, de l’écrit, du livre. Apprendrons-nous mieux sur la Toile ? Nous, les enseignants, nous avons tant de mal à quitter le stade de l’oralité, de la lecture (en anglais lecture et aussi en français), de l’enseignement ex-cathedra (qui nous vient d’une époque où le livre était rare), nous avons des craintes de laisser lire les étudiants eux-mêmes … allons-nous les  laisser glaner les savoirs sur la Toile. A quand le « schisme pédagogique » ?

Web 3.0 et Apprendre 3.0 ?

Si, comme on le dit, le nouveau Web devient vraiment[4] une extension de notre cerveau (comme naguère l’outil a prolongé le bras de l’homme), comment ses structures de désordre actuelles et désincarnées vont-elles devenir structures dissipatives incarnées, signes d’un apprentissage global, planétaire[5] ? Comment ces outils « sociaux » (qui n’ont pourtant rien de social étant créé bien en dehors de nous, sans une co-contruction expresse et explicite de notre part) pourront-ils contribuer à notre intel-ligence ?

Comment le Web, notre Web va-t-il finalement apprendre, mettre de l’ordre dans son désordre, dans notre désordre ? Que sera ce « Web-apprenant »[6] ? Le Web 2.0 actuel deviendra-t-il suffisamment énactif  pour nous accompagner dans l’apprentissage de l’apprendre à apprendre ? Quels seront les éléments vecteurs de cette autopoïèse à l’échelle de notre cerveau devenu planétaire ? Nous en tant que neurones (neurhommes ?) de ce cerveau partagé ? Nous encore ? Nous toujours ? Nous les curateurs ? Quels seront les outils, les médiateurs ? Le Web qu’on nous prépare pourra-t-il dès lors nous aider à « apprendre à apprendre » comme ressource-outil du troisième mouvement qui retourne de la soi-disant « intelligence collective » enfin devenue intelligente vers nous, éternels apprenants …  Ce sera cela Apprendre 3.0 ? Rendre nos apprentissages, source de réels apprentissages pour d’autres avec le Web 3.0 comme médiateur ?

Comment les connaissances (les savoirS) deviendront-elles mes connaissances (mes savoirS) au travers de nos réseaux de « connaissances » (les humains) ?

Marcel Lebrun, Professeur à l’UCL, Conseiller en « Nouvelles Technologies pour l’éducation »


[1] Le terme autopoïèse vient du grec auto (soi-même), et poièsis (production, création). Il définit la propriété d’un système à se produire lui-même (et à se maintenir, à se définir lui-même). Le terme fait référence à la dynamique des structures en équilibre instable, c’est-à-dire des états organisés (appelés structures dissipatives) qui restent stables pour de longues périodes en dépit de la matière et de l’énergie qui passent à travers (Wikipedia). Le préfixe « auto » (comme dans « automatique ») nous gêne un peu, cette structuration opératoire provenant d’interactions entre l’externe (le système englobant, le dispositif …) et l’interne. Pas de génération spontanée, mais une bonne résonance avec « l’apprenant » à qui il revient … d’apprendre.

[2] La perspective de l’énaction proposée par le biologiste, neurologue et philosophe chilien, Francisco Varela est un paradigme qui défend l’idée que la cognition est d’abord incarnée.

« L’organisme donne forme à son environnement en même temps qu’il est façonné par lui [..] Le comportement est la cause première de toutes les stimulations. [..]Les propriétés des objets perçus et les intentions du sujet, non seulement se mélangent mais constituent un tout nouveau ». Pédagogiquement, il reviendrait selon nous aux pédagogues de décrire les conditions, les éléments critiques … qui font que l’interaction intentionnelle devienne énaction personnelle. Motivation, engagement, implication, volonté et pouvoir d’apprendre.

[3] Le risque de noyade dans la dissolution du moi dans le tout est grande. Où sont les bouées qui permettront l’énaction salvatrice ?

[4] Au-delà d’un réservoir de ressources, nous pensons à une véritable structure cognitive extension de notre organisation cérébrale faite de savoirs certes mais aussi de savoir-faire (compétences), de savoir-être (attitudes), de valeurs …

[5] Des questions se posent quant à la validation des connaissances, à la citation et au plagiat. Quels sens auront encore ces mots ?

[6] Certains parleront du Web 3.0


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Des Espaces-Temps pour la Formation et l’Apprentissage : Réflexions à la lumière des outils numériques

Conférence donnée le 17 septembre 2012 à l’Institut Libre Marie Haps de Bruxelles (Haute Ecole Léonard de Vinci, Pôle Louvain) par Marcel Lebrun (Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve) à titre de leçon inaugurale pour la Rentrée Académique 2012-2013

UN PEU DE PHILO

SOCRATE : Le dieu Theuth, inventeur de l’écriture, dit au roi d’Égypte : « Voici l’invention qui procurera aux Égyptiens plus de savoir et de mémoire : pour la mémoire et le savoir j’ai trouvé le remède [pharmakon] qu’il faut » – Et le Roi répliqua : « Dieu très industrieux, autre est l’homme qui se montre capable d’inventer un art, autre celui qui peut discerner la part de préjudice et celle davantage qu’il procure à ses utilisateurs. Père des caractères de l’écriture, tu es en train, par complaisance, de leur attribuer un pouvoir contraire à celui qu’ils ont. Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d’exercer leur mémoire, c’est l’oubli qu’ils introduiront dans leurs âmes : faisant confiance à l’écrit, c’est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu’ils se ressouviendront ; ce nest donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède. » Platon, Phèdre, 274e-275a

SCIENCE et PÉDAGOGIE

Les stimulations modifient les régions activées par nos sens, notre réflexion, nos émotions … et cela depuis l’aube de l’humanité (Small Gary W, et al. Your brain on Google: patterns of cerebral activation during internet searching. Official Journal of the American Association for Geriatric Psychiatry. 2009; 17(2): 116-26).

Le fait de savoir que l’information est accessible réduit le taux de rétention de cette dernière. On se souvient mieux du « où et quand » que de l’information elle-même (Betsy Sparrow, et al., Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips, Science 333:6043:776-778.

Le constructivisme suppose que les connaissances de chaque sujet ne sont pas une simple « copie » de la réalité, mais une « (re)construction » de celle-ci. Le constructivisme s’attache à étudier les mécanismes et processus permettant la construction de la réalité chez les sujets à partir d’éléments déjà intégrés. (Piaget, 1896-1980)

DE GUTENBERG à GOOGLE

Avec le numérique, des processus …intrapsychiques se trouvent extériorisés, objectivés. On n’a pas le cerveau vide …on a le cerveau libre (Michel Serres). L’individu se trouve « obligé » de s’adapter à des modèles pseudo-sociaux qu’il n’a pas produits lui-même (et qui n’ont donc rien de « sociaux »). Ce n’est pas la technique qui est toxique mais notre incapacité à la socialiser correctement (Bernard Stiegler).

DES COMPETENCES

ANDREAS SLEICHER, OECD Education Directorate : We live in a fast-changing world, and producing more of the same knowledge and skills will not suffice to address the challenges of the future. A generation ago, teachers …. schools have to prepare could expect that what they students for jobs that have not taught would last their students yet been created, technologies a lifetime. Today, because of that have not yet been invented rapid economic and social and problems that we dont yet change …. know will arise

MICHEL FABRE Nous étions terriens dans un monde stable ; nous sommes devenus marins dans un monde héraclitéen où tout est changement, déconstruction et reconstruction … L’éducation doit s’adapter à ce monde problématique. La transmission des savoirs anciens devient inutilisable ; il faut « renoncer à chercher la certitude dans des référentiels fixes  »
• la carte, —l’expérience, les savoirs antérieurs, ces certitudes devenues provisoires— et
• la boussole —le questionnement, le doute, la problématisation—, pour que les jeunes s’orientent sur la carte et, surtout, puissent y ouvrir d’autres chemins. (Michel Fabre, 2011).

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Accompagner le développement professionnel des enseignants dans l’enseignement supérieur : un bout d’histoire de l’IPM

L’accompagnement pédagogique des enseignants du supérieur ou encore l’accompagnement du développement pédagogique des enseignants est un sujet « dans l’air du temps » dans les institutions d’enseignement supérieur. Je cible ce billet sur l’enseignement supérieur tout d’abord parce qu’il s’agit là de mon expérience personnelle en matière de « formation des enseignants » et aussi parce que si cette dernière est pratique courante dans l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, elle l’est moins ou alors encore peu organisée ou peu formalisée dans le supérieur. L’expression « dans l’air du temps » n’est pas à prendre comme un effet de mode ou de vitrine institutionnelle mais plutôt comme marquée par les nécessités issues des orientations « Compétences », « Learning Outcomes » (au-delà des « savoirs » mais sans les négliger), des « audits Qualité » ou encore des approches programmes nécessaires à la cohérence des actions entreprises en ces matières par les enseignants dans leurs enseignements respectifs.

Nous constatons, un peu partout de par le monde, la mise en place d’initiatives importantes, certes, mais qui risquent d’échouer par leurs portées spécifiques (développement de ressources (numériques), formation technique et pédagogique, encouragement humain et financier à la mise en place de projets institutionnels ou interinstitutionnels …) alors que les évolutions attendues nécessitent, selon moi, une vue en profondeur à la fois systémique et systématique et une action coordonnée à différents niveaux et sur différents plans. Il s’agit moins d’actions relatives aux ressources à numériser (finalement assez simples à mettre en place et plus présentes que jamais sur la toile, Michel Serres nous disant dans sa parabole « Petite Poucette » que « tout est transmis ») que d’opérations visant à un véritable changement d’état d’esprit sur ce qu’est enseigner, sur le statut des savoirs, sur le rôle des différents partenaires (institutions, enseignants, apprenants), sur le rôle de l’école, un des lieux d’écolage pour une société complexe, moins « certaine » et numérique, sur l’apprentissage formel et tous ces apprentissages qui le sont moins mais qui sont tout aussi importants face au développement exponentiel des connaissances. Cette évolution des esprits prendra du temps : nous faisons appel ici à des projets (ou à des utopies) dont les effets se construiront sur des décennies bien éloignées de la durée des mandats des dirigeants politiques et institutionnels.

A cet égard et sans en faire nécessairement un modèle péremptoire ou intransigeant, il nous semble utile de retracer plusieurs décennies d’histoire de la pédagogie universitaire à l’UCL, des années pendant lesquelles nous avons œuvré (avec bien d’autres)  entre « fourmi et pionnier » à cette opération d’envergure bien loin d’être achevée … les institutions apprennent aussi « toute la vie durant » et leurs vies sont plus longues que la nôtre, modeste ouvrier de cette œuvre collective.

Outre un leadership pédagogique explicite, important et incontournable des autorités qui sera toujours bien présent en toile de fond de notre histoire, nous mentionnerons quatre composantes principales. Et même si le récit a le don d’ordonner les actions au gré du temps, ces composantes sont à considérer en interaction forte, emboîtées plus que successives : elles se déterminent l’une l’autre (une action est nécessaire aux suivantes) et elles se modifient ou s’ajustent régulièrement (une suivante reformulant une précédente initiée plus tôt). Nous n’arrêtons pas de mettre de l’ordre dans le désordre, mais le premier est précaire et se reconstitue selon les contextes, les lieux, les époques … et le second est tout aussi rebelle et se reconstruit au fil du temps.

Cependant, dans notre contexte à l’Université catholique de Louvain, et considérant que, même si tout devrait être traité en parallèle, le flux inexorable du temps fait que certaines initiatives ou certaines actions se développent et s’organisent d’une certaine manière, l’une avant les autres, l’autre après les précédentes au gré du temps propre de l’institution, l’année académique. Ainsi, nous pouvons dans une esquisse rapide, parler de différents temps d’émergence plutôt que de différentes périodes qui se sont succédées. Selon moi, ce n’est pas tant l’agencement des composantes qui est le plus important (d’autres scénarios sont possibles) que le spectre de présence de ces composantes à des degrés divers en des temps différents.

(a) L’évaluation des enseignements par les étudiants et par les enseignants : se doter d’instruments permettant de jauger le développement et l’innovation pédagogique

(b) Et donc, la formation des enseignants aux diverses connaissances et compétences de leur métier : on nous évalue ! Bien ! Mais où nous forme-t-on ?

(c) L’encouragement humain et financier des initiatives, projets et innovations pédagogiques de ces derniers : Me voilà formé ! Mais quels sont les moyens mis à ma disposition ?

(d) La valorisation des efforts consentis par les enseignants : La pédagogie d’accord mais si de plus ça pénalise ma carrière scientifique alors non !

Nous voilà prêt pour ce retour dans le temps.

Pédagogie à l’UCL … 30 ans d’histoire

Un pivot assez central dans notre récit. Sous l’impulsion du recteur P. Macq (rectorat de 1986 à 1995) et le soutien fort du recteur M. Crochet (1995-2004), l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM) de l’Université catholique de Louvain (UCL) a été fondé en 1995 avec comme mission principale « La formation des enseignants » de l’Université, mission qui allait se muer quelques années plus tard en « L’accompagnement du développement professionnel des enseignants ». Et aujourd’hui, l’UCL a adopté et soutient une politique cohérente et a développé plusieurs stratégies convergentes visant l’accroissement de la qualité pédagogique. Quelles origines à ce mouvement ? Comment en est-on arrivé là ? Quelles perspectives ?

Evaluer les enseignements pour en monitorer la qualité

Il nous semble important d’effectuer un retour encore plus en arrière dans l’histoire pour en discerner quelques temps forts : les développements dont nous parlons, les innovations qui scandent ce chemin demandent d’être inscrites, comme nous l’avons dit, dans leur nécessaire temporalité voulue par le récit. Selon nous, c’est dès les années 1980 avec l’instauration de l’EEEQ (Evaluation des Enseignements par les Etudiants au moyen de Questionnaires) dans le but de monitorer la qualité des enseignements (ainsi que de documenter les décisions d’attribution de cours), que tout a commencé selon nous ou, en tout cas, dans notre histoire pédagogique personnelle. Ces évaluations étaient alors classées dans un dossier relativement confidentiel appelé DAP (Dossiers d’Appréciations Pédagogiques). Un saut dans le temps nous conduit en 1992 avec un dossier auquel nous avons contribué quelque peu : La problématique de la réussite-échec en candidatures (appelées dorénavant Bac en Belgique et Licence en France). Parmi les conclusions, nous lisons : La formation des enseignants aux techniques d’évaluation formative et continue devra être organisée. La formation des enseignants à ce type d’enseignement plus participatif (centré davantage sur l’apprenant), et à son évaluation constituera un facteur important de réussite de ce système. On y parlait déjà de valorisation des enseignements (en particulier au premier cycle) mais, sans plus.

Former et accompagner les enseignants pour des enseignements « centrés sur l’apprentissage »

L’idée de la nécessaire formation des enseignants était en route et elle allait conduire à la création de l’IPM (Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias) en 1995. Cet institut, central et interfacultaire qui alliait déjà, par son appellation, pédagogies et technologies, allait devoir (1) se faire connaître, d’où une politique de départ basée sur l’offre de formation, (2) se faire reconnaître en tant qu’agent d’accompagnement et de changement et non comme « police des enseignants », et (3) partir des préoccupations actuelles des enseignants (leurs problèmes davantage que leurs besoins) pour diriger, avec doigté, ces derniers dans leur mission d’accompagnateurs d’apprentissage. Dès décembre 1995, sept groupes de travail d’une quinzaine de personnes émanant des différents horizons de l’université, enseignants, étudiants, services … allaient produire un dossier initiateur de nombreuses réformes ultérieures : La pédagogie à l’Université. En 1997, différents fonds épars souvent orientés « outils » (comme le Fonds pour l’audiovisuel, le Fonds multimédia …) allaient être fédérés dans le Fonds de Développement Pédagogique (FDP) marquant ainsi cette volonté de considérer l’enseignement comme un moyen pour favoriser des apprentissages de qualité et d’y investir. Evaluer les enseignants, les former, les soutenir dans leurs intentions et actions pédagogiques, toute cette mouvance allait conduire l’IPM à s’orienter davantage dans une approche de réponses aux demandes et d’accompagnement plus personnalisé envers des enseignants ou des équipes. Encore fallait-il un cap à ce foisonnement d’actions entreprises.

Une entreprise et des priorités institutionnelles

Et revoilà le leadership. A la rentrée académique 2004-2005, un pas était franchit avec l’avènement d’un prorectorat à l’enseignement et à la formation avec l’explicitation d’une priorité fédératrice : L’étudiant, au centre de sa formation ; la formation, centrée sur l’apprentissage. Une perspective de développement professionnel inscrite en frontispice du document présentant cette politique était clairement indiquée : We believe it is not only possible but vital that we give teaching as much emphasis and support as we give research. As a Stanford faculty member, academic staff member or teaching assistant, you are already recognized for your scholarship in your field. We ask that you be a leader in your teaching as well (John L. Hennessy, President Stanford University). Clairement, la voie du SOTL (Scholarship of Teaching and Learning) était tracée même si peu explicite : l’enseignant-chercheur était invité à considérer son enseignement comme un objet de recherche, un objet accompagné d’une expertise scientifique et evidence-based, à s’informer sur les pratiques pédagogiques et leurs finalités, à les expérimenter, à les évaluer (un retour sur l’évaluation), à les discuter avec des pairs et à les soumettre ainsi à la critique constructive et fertile d’évolutions (la formation se muant en communauté de pratiques), à les publier à l’instar de ce qui se fait dans la recherche … La valorisation de la fonction enseignante à l’Université allait s’ensuivre en « conséquence naturelle ». A quoi pourrait servir cet engagement souhaité par les Autorités si des perspectives de valorisation en interne et en externe n’étaient tracées explicitement ? Pour l’IPM, il s’agissait dès lors d’encourager le travail en équipe d’enseignants, d’aller vers eux sur le terrain, de développer les partages de pratiques et de doter les enseignants d’outils d’analyse et de réflexivité quant à leurs pratiques.

Le Dossier de Valorisation Pédagogique

L’évaluation, de laquelle nous sommes parti, reprenait ainsi un second souffle comme outil d’amélioration et « preuve à conviction » pour alimenter le Dossier de Valorisation Pédagogique (DVP) demandé pour les nominations et promotions dans la carrière. Ce dossier, pourtant décidé dès 2000, n’allait être vraiment installé dans les pratiques qu’aux environs de 2007 montrant par là le nécessaire temps d’émergence et de migration des innovations pédagogiques dans des institutions complexes au niveau des individus et des organes (en particulier au sein des commissions de promotion).

Le mouvement de l’IPM vers l’enseignant accompagnateur d’apprentissages, vers les équipes, vers leurs besoins et leurs demandes sur le terrain allait encore s’accélérer ces dernières années par les approches institutionnelles, communautaires, européennes, liées au développement des compétences, à la reconnaissance de ces dernières dans les cursus (VAE), aux démarches Learning Outcomes et « Qualité » … qui inscrivent les démarches individuelles (les cours) dans des approches programmes nécessaires pour assurer la pertinence, la cohérence et l’efficacité des enseignements. Les propos « généralistes » du début de l’IPM (Comment motiver les étudiants ? Comment favoriser l’interaction dans l’amphi ? Comment évaluer le développement de telle ou telle compétence…) allaient aussi se colorer des spécificités des différentes disciplines des facultés. L’approche pédagogique devenait aussi et ainsi plus didactique. L’IPM devient ainsi progressivement un partenaire des équipes locales  et un agent de mutualisation des efforts entrepris par ces dernières.

C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, des conseillers de l’IPM sont dédiés, sur le terrain au sein même des facultés, à des tâches de reconstruction et de consolidation des enseignements dans le cadre de programmes (cohérence pédagogique) construits sur des référentiels de compétences. Ils restent, pour le moment, inscrits au cadre de l’IPM contribuant ainsi à la nécessaire mutualisation des expériences auxquelles ils participent et des compétences qu’ils ont acquises dans les facultés. Selon nous, il s’agit de premiers pas vers un IPM, sans doute moins central mais davantage inscrit dans un véritable réseau de centres locaux, un réseau de construction de compétences partagées, dans une communauté d’apprentissage collectif et de pratiques à l’Âge du numérique.

Quelques références d’archives

–       Le site de l’IPM : http://www.uclouvain.be/ipm

–       Le Fonds de Développement Pédagogique (FDP-1997) : http://www.uclouvain.be/fdp.html

–       Le Dossier de Valorisation Pédagogique (DVP-2000) : http://www.uclouvain.be/97742.html

–       Une formation Universitaire de Qualité (2007) : http://www.uclouvain.be/349251.html

–       La Pédagogie à l’Université (Juin 96) : http://bit.ly/reussite-CEPE

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eLearning – entre pédagogies et technologies

eLearning entre pédagogies et technologies : une recension de documents, billets, analyses et enquêtes … à propos des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Des technologies pour enseigner et apprendre (curation menée avec Scoop.it)



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Apprendre et enseigner à l’ère numérique : entre virage pédagogique et mirage technologique

Voici un texte illustré de diaporamas et d’une mini-vidéo qui synthétise la conférence que j’ai donnée à Sao Paulo (Brésil) dans le cadre du Colloque « Enseigner et Apprendre au XXIème Siècle » (6 au 8 février 2012)

Apprendre et enseigner à l’ère numérique : entre virage pédagogique et mirage technologique

INTRODUCTION

Un peu partout dans le monde, dans différents secteurs de la vie sociale, économique, professionnelle et à différents niveaux comme l’éducation, la formation initiale et continue, l’apprentissage informel ou l’apprentissage formel (à l’école, à l’université ou encore dans la formation continue), le numérique est omniprésent. Textes, images, sons … défilent à la vitesse d’une succession effrénée de « 0 » et de « 1 » et, de manière étonnante, le binaire permet la nuance. Dans le contexte éducatif, les universités numériques fleurissent, les réseaux se concrétisent dans des consortiums d’universités au niveau régional ou même international. La tentation est grande d’associer rapidement à cette effervescence technologique un développement comparable de nos capacités cognitives et de voir, trop vite sans doute, le numérique comme un prolongement de notre cerveau. Mais, c’est oublier que « l’outil n’est que l’outil » et que son usage détermine largement les effets et les impacts escomptés. Dans la thématique et la problématique de ce colloque, ce sont bien sûr les potentiels pour l’enseignement et l’apprentissage  que nous mettrons en avant mais, sans négliger les conditions nécessaires et suffisantes pour en espérer des effets positifs pour l’éducation.


Même si dans la langue française courante, les verbes « apprendre » et « enseigner » sont souvent confondus (peut-on apprendre à quelqu’un à rouler à vélo ?), nous mettrons l’accent sur les rapports systémiques entre ces deux actes afin de bien les mettre en perspective : celui de l’apprentissage (qui revient à l’apprenant) et celui de l’enseignement (qui revient à l’enseignant concepteur du dispositif dans lequel l’élève pourra apprendre).

Et, il nous faudra à nouveau interroger les fondements de ces deux activités humaines pour déceler les niches, les facteurs, les activités qui permettront de repenser de manière systémique et de transformer de manière positive l’enseignement (Lebrun, 2012) en y apportant des valeurs ajoutées soutenues par les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et de rendre davantage conformes aux aspirations de la société, les potentiels que nous entrevoyons.

Une porte d’entrée nécessaire : la cohérence pédagogique

L’efficacité (en termes de valeurs ajoutées et de conformité aux aspirations sociales et aux compétences attendues) de cette relation systémique entre « apprendre et enseigner » est dépendante de la cohérence du dispositif pédagogique (au sens de l’alignement constructiviste de Biggs, 1996).


C’est une cohérence à construire entre les objectifs (les compétences, les acquis d’apprentissage), les méthodes (dont les méthodes dites actives), les outils (dont ceux que nous propose l’ère numérique) et l’évaluation des savoirs mais aussi des savoir-faire et des savoir-être. A ces facteurs externes, il convient d’associer, dans une résonance toujours à construire, les facteurs internes liés à la motivation, à l’engagement dans les tâches, à l’implication … des facteurs internes intimement liés à la perception des contextes par les étudiants. Cette cohérence recherchée constitue une piste précieuse voire incontournable pour construire des dispositifs de formation en accord avec les possibles, les intentions et les perspectives rapidement tracées ici (Lebrun et al., 2011).

Notre perspective sera donc davantage systémique que normative ou linéaire. C’est encore cette cohérence pédagogique qui nous conduira à analyser les impacts possibles et les conditions de ces derniers.

Des objectifs pour savoir où on va … (voir aussi)

La notion d’objectif est relativement ancienne (on peut penser aux objectifs cognitifs de la taxonomie de Bloom, 1956) mais, elle a connu récemment de nombreux développements ou extensions. On est ainsi passé des capacités (être capable de …) à la notion de compétence (avec en particulier, l’attention aux contextes d’application de ces capacités) pour en arriver assez récemment aux acquis d’apprentissage (connu aussi sous la dénomination de Learning Outcomes) : ce que l’étudiant sait, est capable de faire et dont il peut faire la démonstration (le chef d’œuvre des apprentis du Moyen-Âge n’est pas si loin).


Parmi ces objectifs modernisés et que ce soit dans les écoles polytechniques ou de gestion, en sciences médicales ou en sciences humaines, on trouve de manière très récurrente : l’esprit critique, la communication, le travail d’équipe, l’autodidaxie … Les référentiels de compétences, socles des démarches induites en Europe et ailleurs par la réforme de Bologne, explicitent ces acquis d’apprentissage en les ventilant sur les niveaux de Licence, de Master et de Doctorat (Lebrun, 2010). Sans en faire la cause principale de leur résurgence bien actuelle, on détecte dans ces objectifs des traces de la présence du numérique : la nécessité de distinguer et de valider les savoirs dorénavant disponibles plus que jamais sur l’Internet (recherche informationnelle, esprit critique, curation), de savoir utiliser les outils divers de la communication numérique (blogs et réseaux sociaux, par exemple) comme vecteurs de communication et de collaboration, la possibilité et la nécessité d’apprendre toute la vie durant tant l’offre et la demande de formation est importante. La technologie apparaît donc quelque part comme une des sources (des causes) des besoins de formation exprimés et comme une partie de la réponse. Et ce sans compter sur le fait que les « jeunes » sont, dit-on, des natifs digitaux et que la génération « C », un vocable cher aux québécois, utilise ces outils pour créer, pour communiquer et pour collaborer (Frand, 2000). Depuis le temps qu’on en parle, ces « jeunes » sont d’ailleurs déjà arrivés dans l’entreprise  sous le nom de génération « Y ». Info ou Intox ? Sont-ils déjà autant numériquement compétents ? Ou alors, est-ce à l’école de les former et de valider cette compétence à apprendre avec le numérique ?

Toujours est-il que l’école, si elle veut rester le lieu d’écolage à la société numérique complexe, doit s’interroger sur les entrants (les jeunes qui y arrivent) et sur les sortants (les futurs professionnels) de son système.

Des méthodes, des chemins pour y aller ? (voir aussi)

S’interroger sur les méthodes à mettre en place pour favoriser ces apprentissages revient à s’interroger sur les facteurs activables et sur les environnements favorables à cet apprentissage. Existe-t-il un apprentissage spécifique à l’ère numérique ou alors l’apprentissage est-il un mécanisme temporellement transcendant ? La théorie du recyclage de nos cartes corticales (Dehaene, 2006) montre que c’est la plasticité cérébrale qui permet à l’humain de s’adapter en fonction de l’exercice auquel l’environnement le soumet : la notion de dispositif pédagogique prend alors tout son sens. Nous proposerons un « modèle pragmatique d’apprentissage » à la fois résistant aux bousculements induits par la technologie et suffisamment malléable pour en tenir compte.  Il est basé sur cinq clés, cinq facteurs qu’il est utile d’activer dans toute formation, surtout si celle-ci se déroule entièrement ou partiellement à distance : informer, motiver, activer, (faire) interagir et produire.


Nous présenterons aussi, sur la base de ces cinq facteurs,  les dispositifs d’entraînement ou d’exercisation que l’enseignant peut mettre en place afin de favoriser le développement des compétences énoncées ci-dessus et nécessaires pour la survie à l’ère numérique (Lebrun, 2005).

Des accents seront particulièrement placés sur les facteurs de motivation sur lesquels l’enseignant peut « jouer », sur l’apprentissage actif  en remarquant le caractère tautologique de cette expression (l’apprentissage pourrait-il être passif ?), sur les valeurs ajoutées par les technologies de l’information et de la communication, et sur les conditions d’émergence de ces valeurs ajoutées …

Qu’il s’agisse des approches par compétences, des méthodes actives, des outils d’accès, de création et de diffusion … qu’il s’agisse des « nouvelles » théories de l’apprentissage ou encore des neurosciences,  toutes ces portes d’entrée convergent vers une mutation paradigmatique du maître qui sait (à l’heure de la construction de la connaissance sur les réseaux sociaux) à l’élève qui apprend, qui continue à apprendre. Ces propos sont soutenus par des références aux littératures théoriques et empiriques, classiques comme le constructivisme ou prospectives comme le connectivisme (Siemens, 2005) et également par des exemples concrets issus de nos pratiques.

Des outils enfin … pour quels impacts ?  (voir aussi)

Même si les outils actuels de la société numérique transforment radicalement nos façons de travailler, de passer nos loisirs, de communiquer … la littérature montre que ceux-ci ne permettront en retour de mieux vivre dans la société, d’atteindre les objectifs espérés que dans des méthodes pédagogiques renouvelées (mais pas nouvelles) dont les éléments fondateurs étaient déjà bien présents dans les écrits des pédagogues comme Freinet, Piaget, Vigotski … au vingtième siècle et par d’autres bien plus tôt : faut-il citer Socrate ou Ibn Khaldoun (1332-1406), un des pères de la sociologie.


Cette évidence de la prédominance de l’usage sur l’outil lorsque l’on recherche les effets de ces derniers, n’est pourtant guère de mise dans les pratiques pédagogiques. Que ce soit à propos des « nouvelles » pratiques pédagogiques ou à propos des « nouvelles » technologies, les chercheurs sont souvent confrontés au phénomène du NSD, le No Significant Difference (pas de différence significative) observé en comparant les résultats des étudiants plongés dans des dispositifs avec ou sans nouvelle méthode, avec ou sans nouvelle technologie (Russell, 2009). Parmi les explications, on trouve : il n’y a pas de différence observée dans les études parce que les technologies ne font que reproduire les anciennes pratiques conduisant à une sorte de fossilisation de ces dernières (on refait avec les nouveaux outils ce qu’on faisait avant leur apparition). Ou alors, les dispositifs techno-pédagogiques sont effectivement orientés vers, par exemple, le développement de compétences des étudiants, mais l’évaluation continue à porter sur les connaissances acquises et non les compétences développées. Dans ce cas, les valeurs ajoutées sont « hors de portée » des évaluations traditionnelles mais les connaissances ainsi mesurées ne présentent pas de déficit. C’est heureux mais insuffisant pour établir scientifiquement les impacts pressentis des TIC.

En fait, l’obstacle principal n’est pas tant la disponibilité des outils, l’existence et la pertinence des méthodes très tôt suggérées que cet effroi de l’Homme, les enseignants et les étudiants dans notre propos, par rapport aux changements à percevoir dans le statut des savoirs, les (nouveaux) rôles a tenir, l’incertitude à gérer … Si employer l’outil technologique à l’école est une bonne chose, si le Learning by doing est une modalité importante de l’apprentissage, il n’en reste pas moins vrai qu’il existe des savoirs sur les savoir-faire et que la formation des différents acteurs (étudiants et enseignants) aux méthodes et aux outils est impérative. Travailler efficacement en groupe autour d’une table ou sur un réseau social demande des connaissances (le savoir quant au travail collaboratif), des activités (fertiles en construction de savoir-faire) et, on l’oublie bien souvent, une activité réflexive, un regard en arrière sur l’activité entreprise : comment ai-je appris ? Quels ont été les éléments déterminants ?

En conclusion

Les outils technologiques de l’ère numérique sont déjà profondément ancrés dans nos attitudes et habitudes de travail, de loisir … dans notre vie quotidienne. Si, et je pense à l’époque de la création des universités, il y a bien des siècles, le livre était rare et la formation nécessitait la rencontre « en présentiel » et en temps et heure d’un enseignant pour faire la lecture et d’apprenants dont la compétence de mémorisation était primordiale, les temps ont bien changé. A l’heure actuelle, ce n’est pas tant la disponibilité de l’information qui importe mais plutôt les compétences à la trouver, à la valider, à l’exploiter dans des contextes variés, à savoir « où et quand » la trouver et l’utiliser, à la soumettre à un collectif, à la partager … La métaphore du désordre et de l’ordre me revient en tête : apprendre, serait-ce arriver à mettre de l’ordre dans le désordre ? Enseigner, serait-ce organiser des dispositifs susceptibles d’organiser cette catalyse cognitive,  en soi et à l’échelle d’une intelligence collective devenue planétaire ?

NDLR : une des dernières dias montrant mon modèle dans le cadre de l’Univers Numérique est peu lisible et surtout très chargée. La voici ici en forme de mini-vidéo animée.

Pour terminer, je proposerai quelques pistes de réflexion proposée par Michel Serres. Vous les validerez et les réinjecterez dans leurs contextes en vous promenant sur l’Internet  :

  • Il faut fréquenter les bibliothèques, certes ; il convient, assurément, de se faire savant. Étudiez, travaillez, il en restera toujours quelque chose. Et après ? Pour qu’il existe un après, je veux dire quelque avenir qui dépasse la copie, sortez de la bibliothèque pour courir au grand air ; si vous demeurez dedans, vous n’écrirez jamais que des livres faits de livres. Ce savoir, excellent, concourt à l’instruction, mais celle-ci a pour but autre chose qu’elle-même. Dehors, vous courrez une autre chance.
  • Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait.
  • Qu’est-ce que la science ? La science, c’est ce que le père enseigne à son fils. Qu’est-ce que la technologie ? C’est ce que le fils enseigne à son papa.
  • Les nouvelles technologies nous ont condamné à devenir intelligent. Comme nous avons le savoir devant nous, comme nous avons l’imagination devant nous, nous sommes condamnés à devenir inventif, à devenir intelligent, c’est-à-dire devenir transparent. Nous sommes à distance du savoir, à distance de l’imagination, à distance de la cognition en général et il nous reste exactement que l’inventivité. C’est à la fois une nouvelle catastrophique pour les grognons, mais c’est une nouvelle enthousiasmante pour les nouvelles générations.

Références

Biggs, J. (1996). Enhancing teaching through constructive alignment. Higher Education 32, pp 347-364.

Bloom, B.S. (1956). Taxonomy of educational objectives : The classification of educational goals. Handbook I, Cognitive Domain. New York ; Toronto : Longmans.

Dehaene, S. (2007). Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob.

Frand, J. L. (2000). The information age mindset: Changes in students and implications for higher education. Educause Review 35 (5), 15-24. Disponible en ligne :  www.educause.edu/ir/library/pdf/ERM0051.pdf.

Lebrun, M. (2005). eLearning pour enseigner et apprendre : Allier  pédagogie et technologie. Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant.

Lebrun, M. (2011). Les compétences et les « CCC » : Capacités, Contenus et Contextes, Learning Outcomes, apprentissage et dispositif, approche programme … Document réalisé à la suite de l’Université de Printemps (IPM, 2011). Disponible en ligne : http://bit.ly/Acquis-Apprentissage

Lebrun, M., Smidts, D. & Bricoult, G. (2011). Comment construire un dispositif de formation ? Bruxelles : De Boeck (200p).

Lebrun, M. (2012). Impacts des TIC sur la qualité des apprentissages des étudiants et le développement professionnel des enseignants : vers une approche systémique. Revue des Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation (STICEF), 18. Disponible en ligne : http://bit.ly/A9AFpm

Russell, T.L. (2009). The no significant difference phenomenon. Chapel Hill, NC : Office of Instructional Telecommunications, North Carolina State University. Disponible en ligne : http://www.nosignificantdifference.org/

Siemens, G. (2005). Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age. International Journal of Instructional Technology & Distance Learning, 2(1).

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J’enseigne moins, ils apprennent mieux …

Des lecteurs de ce Blog m’ont demandé de présenter un dispositif concret où je mets en action les cinq facettes de mon modèle d’apprentissage ou encore l’intégration des compétences dans l’enseignement … Voici une présentation de l’un de mes cours, un dispositif hybride dans lequel je mets en pratique ces idées (une version antérieure de cette présentation a été publiée dans notre journal « Résonances » de janvier 2011). Je l’ai écrite sous la forme d’une interview … que je me fais à moi-même … une opération de réflexivité !

PRESENTATION DU COURS LPSY1408

La rédaction : Marcel Lebrun, on vous connaît comme conseiller « technopédagogique » à l’IPM, moins comme enseignant. Même si on peut le deviner, qu’enseignez-vous au juste ?

Marcel Lebrun : Et bien oui, outre mon travail à l’IPM, je donne des cours de technologies pour la formation, l’enseignement et l’apprentissage, des cours finalement assez éloignés de la préoccupation instrumentaliste. Ils seraient plutôt orientés vers une conception systémique de notre époque, l’âge de l’information, avec les changements qu’elle implique chez chacun de nous (la façon par laquelle nous vivons, prenons nos loisirs, nous informons, nous apprenons …), les changements qu’elle stimule et qu’elle soutient dans la formation et l’apprentissage toute la vie durant, les nouveaux rôles des uns et des autres, tour à tour formateurs et formés, avec les statuts du savoir qu’elle promeut et développe : vous avez entendu parler des réseaux sociaux, de l’intelligence collective, non ?

R : Et vos publics ?

ML : Des étudiants d’horizons variés allant des BAC3 (NDLR : les licences en Belgique) en psychologie accompagnés d’étudiants de diverses facultés qui ont choisi ce cours en mineure (le cours dont je parle ici)  jusqu’aux étudiants futurs formateurs de l’Agrégation (la formation des enseignants du secondaire), du Capaes (la formation des enseignants du supérieur) de la FOPA (Faculté Ouverte Pour Adultes)

Objectifs et méthodes

R: Je suppose que les objectifs, les méthodes requises sont différentes pour ces différents groupes ?

ML : Non et oui ! Mon objectif ultime est de développer, au travers de contenus qui sont bien présents mais finalement peu « enseignés » par moi mais beaucoup manipulés par les étudiants, de réelles compétences « transversales » en matière d’esprit critique et d’évaluation, de travail d’équipe, de synthèse, de communication … Vous le comprenez, c’est un fondement pour la qualité des apprentissages manifestés au travers d’un rapport scientifique pour les uns, d’un protocole de leçon pour les autres, d’un projet de mémoire pour les derniers.

R : Vous dites que vous n’enseignez que peu, inquiétant non ?

ML : Une question de cohérence plutôt. Comment voulez-vous développer des « formations centrées sur l’apprenant » (NDLR : une priorité de l’UCL) en occupant tout l’espace-temps par mon seul exposé, en court-circuitant leur apprentissage en leur donnant les bonnes réponses, en les privant d’occasions d’apprentissage, au sens fort, c’est-à-dire d’occasions d’exercer leur créativité, de devenir compétents dans l’acte d’apprendre dans toutes ses dimensions … En outre, ce cours est exprimé en ECTS : 5 ECTS près de 150 heures de travail pour l’étudiant … pour l’étudiant, j’insiste.

J’ai aussi fait mienne cette citation de Brown et Atkins : Enseigner, c’est donner à l’étudiant des occasions où il puisse apprendre. C’est beau, n’est-ce pas ?  Deux choses importantes : cette citation n’exclut nullement de proposer « magistralement » une synthèse orchestrée par l’enseignant, nos étudiants ont besoin de balises. Ensuite, c’est finalement l’expression d’un certain bon sens : vous pouvez leur enseigner, mais vous ne pouvez pas apprendre à leur place. L’expression « je vais t’apprendre à rouler à vélo » n’a pas beaucoup de sens. Je peux montrer, démontrer, expliquer … c’est à l’étudiant d’apprendre.

Un scénario qui organise les activités … des étudiants

R : Et comment cela se passe concrètement votre cours ?

ML : Dans le cours aux étudiant(e)s de BAC3, j’ai réduit les exposés magistraux (mais néanmoins interactifs) à 5 cours de 2 heures (une sorte de balisage avec des invités parfois, mes deux collègues Denis Smidts et Françoise Docq tous les deux spécialisés en matière d’eLearning) pour leur laisser le temps d’apprendre.

Je fais quelque part l’impasse sur le deuxième cours en leur proposant de visionner à domicile une vidéo de l’une de mes conférences sur le thème. J’ouvre en même temps un forum où ils peuvent déposer commentaires, opinions, questions … Au cours suivant, le troisième donc, je travaille avec eux ces productions. Les forums, ça marche pas ?  Mais si, sur une quarantaine d’étudiants, j’ai reçu 17 commentaires dont certains de plus d’une page ! Mais ce qui compte le plus, c’est d’exploiter leurs productions dans le cours en présentiel. J’ai bien évidemment en réserve quelques diapos pour répondre de manière précise à leurs interpellations. Je suis très « flipped classroom » : Lectures at home and Homework at school … l’enseignement du futur.

Je leur ai proposé aussi une formule de mini-colloque (deux cours hebdomadaires successifs à la fin du quadrimestre, l’apothéose du cours) dans lequel les groupes d’étudiants viennent présenter leurs communications résultant de leurs travaux en groupe. Ils y mettent beaucoup … C’est terrible « quand les jeunes s’en mêlent … » : ils créent des vidéos, font des interviews, rendent leur amphi actif …

Chaque fois, un autre groupe est désigné pour réaliser une « critique » du travail présenté dans une perspective formative : la critique (basée sur les critères d’évaluation que je leur donne dans mon plan de cours) est remise au groupe évalué de manière à ce que ce dernier puisse revoir sa copie. Un exercice de critique (au sens large) et une façon de faire sortir les étudiants du seul thème qu’ils ont investigué, du seul rapport qu’ils ont écrit. L’évaluation porte sur le travail proprement dit et sur la note critique réalisée. Ça fonctionne ? Parfois les étudiants me disent : « Ce n’est pas à nous d’évaluer le travail de nos ami(e)s ». Je leur réponds « Si ce sont vos ami(e)s, alors aidez-les à mieux faire leur travail avec les critères que je vous ai donné ». La qualité des travaux a ainsi fortement été améliorée.

Des compétences qui émergent toutes seules ?

R : Mais, vous supposez que les compétences dont vous avez parlé (travail d’équipe, communication, esprit critique …) s’acquièrent, en le faisant, Learning by doing, par une sorte d’osmose au travers de la méthode ?

ML : Non pas tout à fait. Je mets à leur disposition (ou je leur rappelle l’existence) de documents relativement courts à propos de l’écriture d’un rapport scientifique, de l’écriture de références, de la communication orale … même parfois sur comment organiser le travail en groupe sur la plateforme … Par exemple, en ce qui concerne l’exercice de communication lors du mini-colloque, je leur propose la vidéo « les 8 erreurs à ne pas commettre dans une présentation PowerPoint« , un classique humoristique. Ou alors, un extrait de « Présentation Zen » de Garr Reynolds. L’effet est certain : mes étudiants font des communications a faire pâlir d’envie certains enseignants ! Soyons clair : il n’est pas question d’un cours de méthodologie, ce n’est pas ma matière, mais tout à la fois une manière de faire passer mes exigences, de concrétiser mes objectifs transversaux et de faire « une piqure de rappel » par rapport aux cours, ateliers et séminaires méthodologiques qu’ils ont eu précédemment. C’est comme cela que les compétences se construisent petit à petit dans un programme où les différentes parties se renforcent, se complètent, se stimulent.

Et voici l’outil … iCampus

R: Ce doit être un travail important de gérer ces groupes, ces thèmes, ce mini-colloque ?

ML : Vous avez compris que j’utilise la plateforme iCampus (NDLR : Claroline). Un cours dont l’objet est la Technologie qui ne profiterait pas de cet outil, ce serait un comble ! iCampus me permet de gérer tout ce petit monde avec un investissement juste légèrement supérieur à un cours traditionnel mais, avec une beaucoup plus grande flexibilité : l’outil groupes me permet de créer des espaces d’échange et de partage entre les étudiants, en un clic. Les annonces me permettent de donner des informations, des consignes, de gérer l’imprévu just in time.  Les forums généraux et spécifiques (à un groupe ou à une tâche) constituent pour moi un véritable observatoire, un tableau de bord des activités des étudiants et pour les étudiants un enregistreur de leurs démarches (verba volant, scripta manent). Vous avez dans un forum donné (le groupe 3 par exemple), typiquement une dizaine de sujets (les étapes effectuées par exemple), chaque sujet contenant une dizaine de messages émis par les étudiants … un seul message a été vu 40 ou 50 fois me renseigne iCampus ! Vous avez dit mutualisation ! Et finalement, l’outil Travaux m’épargne un travail énorme de gestion des copies (faire passer les copies d’un groupe à l’autre).

R: une conclusion ?

ML : Favoriser l’apprentissage est devenu une plus grande passion encore qu’enseigner et … qu’on ne me dise pas que c’est la même chose !

RETOUR SUR LE MODELE D’APPRENTISSAGE

Alors, vous êtes prêts ? Où se nichent les cinq facteurs d’apprentissage ? Vous avez trouvé ? Voici quelques indications !

Informations

–       les quelques cours en présentiel

–       les mini-colloques organisés par les étudiants eux-mêmes

–       les « capsules » méthodologiques sur « Comment écrire un rapports scientifique ? », « Comment faire une bonne communication ? », « Comment travailler en groupe ? »

Motivations

–       le choix du thème travaillé par les étudiants

–       la contextualisation du travail

–       le recours à des vidéos

–       l’interactivité

–       les compétences transversales développées : communication, travail d’équipe, esprit critique

–       le « chef d’œuvre » (la communication) qu’ils construisent

Activités

–       la recherche des informations

–       leur projet de mini-colloque

–       le travail en groupe

–       la rédaction de commentaires critiques du travail d’un autre groupe

–       la production du travail écrit

Interactions

–       le travail de groupe

–       les séances de travail en amphi à répondre aux questions qu’ils se posent

–       l’interactivité avec les contextes qu’ils explorent

Productions

–       la présentation lors du mini-colloque

–       les objets créés pour cette présentation (micro-trottoir, présentation …)

–       le rapport écrit et les commentaires critiques

Vous avez des questions, des remarques, des suggestions, des interpellations … et bien, cliquez sur « Comment« 

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Dispositif Hybride, flipped classroom … suite

Dans un précédent billet, je définissais la notion d’hybridation … pour être bref, un mélange fertile d’enseignement et d’apprentissage traditionnels et d’enseignement et d’apprentissage à distance. Complétons cette première approche trop rapide et revenons rapidement sur cette définition :

En ce qui nous concerne, nous entendons par dispositif un ensemble cohérent constitué de ressources (matérielles et humaines), de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un ou mieux (peut-on faire apprendre ?) de permettre à « quelqu’un » d’apprendre « quelque chose » (Lebrun, 2005b). En ce qui concerne l’hybridation, nous la considérons comme un mélange fertile et en proportions variables de différentes modalités de formation, en présence et à distance (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006) mais aussi entre des postures d’enseignement transmissif (l’enseignement au sens strict n’exige plus la présence physique en un temps et un lieu donnés, mais peut sortir de l’ex-cathedra pour atteindre l’étudiant où il se trouve) et des postures davantage liées à l’accompagnement de l’apprentissage.

Les dispositifs hybrides que nous considérons ici sont ainsi supportés par une plateforme technologique (un rassemblement d’outils) et leur caractère hybride provient d’une modification de leurs constituants (ressources, stratégies, méthodes, acteurs et finalités) par une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage : il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence-distance et une autre au rapport « enseigner » -« apprendre ».

Hier soir, jeudi 27 octobre 2011, tout à mon travail de curation, je tombais par effet de sérendipité sur une conférence de TED donnée par Salman Kahn. Ce dernier est l’inventeur de la Kahn Academy, un répertoire structuré de (actuellement 2600) vidéos associées à des exercices, sur les mathématiques tout au début de son existence mais, tous les secteurs de la connaissance commencent à être abordés. Revenons à sa conférence : l’idée centrale est le « flipping » (renversement) de la classe traditionnelle, la flipped classroom. J’ai résumé cela, sur mon FaceBook,  par :

Avec la vidéo : le « cours traditionnel » à la maison, chez soi et  le devoir à la maison (homework) en classe … Simple comme tout ? Une révolution !

La nuit étant passée, j’ai voulu résumer ce « flip », ce basculement par une petite BD en 4 cases :

– en haut à gauche, l’école traditionnelle très caricaturale. On vient écouter en classe, l’enseignant enseigne et l’élève, l’étudiant se casse la tête pour comprendre une fois revenu chez lui … avec les TP qui sont un peu entre les deux …

– en haut à droite, l’enseignement à distance. l’enseignant débarque chez l’apprenant, il regarde la vidéo du cours, les animations … il peut aussi accompagner son apprentissage à la maison par différentes formes de Tutorat.

– en bas à gauche, un mélange des deux formes. Dans mes cours, je fais cela souvent : une vidéo à regarder à la maison, un forum pour que les étudiants déposent leurs avis, leurs commentaires, leurs opinions … lors de mon dernier cours, sur 40 étudiants(e), j’avais reçu 17 commentaires (vous en avez autant dans vos amphis ?) … dont certains de plus d’une page. Au cours suivant, je n’ai fait qu’exploiter ces messages du forum. J’ai projeté le fil des discussions (je projette ce que disent les étudiant(e)s … le débat, les argumentations m’ont séduit. J’ai « flippé » … Une occasion de redonner au présentiel sa fonction d’activité et d’interactivité, de redonner à l’enseignant sa mission de poseur de balises et d’exigences dans le champ ouvert d’apprentissage.

– en bas à droite, une (j’insiste une) configuration de dispositifs hybrides … il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence-distance et une autre au rapport « enseigner » -« apprendre ».

Voici mon cartoon :

Et vous, vous allez commenter ce billet ? Oui, non ? Faites suivre sur votre réseau. C’est tous ensemble que nous allons flipper.

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5 facettes pour construire un dispositif hybride : du concret !

Après une introduction à la notion de dispositif hybride pour enseigner et apprendre, nous donnons quelques conseils concrets (point 5)  « pour enseigner et pour favoriser l’apprentissage en ligne » basés sur les 5 facettes de « notre » modèle pragmatique d’apprentissage (Lebrun, 2005). J’illustre ce modèle dans un autre billet « J’enseigne moins, ils apprennent mieux« .

1. Un dispositif hybride, qu’est-ce que c’est ?

Le mot « dispositif » est fréquemment utilisé dans la littérature et ce dans différents domaines : appareillage sophistiqué, stratégie militaire, campagne de presse … Nous entendons par dispositif un ensemble cohérent constitué de ressources, de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un ou mieux (peut-on faire apprendre ?) de permettre à « quelqu’un » d’apprendre « quelque chose » (Lebrun, 2005).

En ce qui concerne l’hybridation, nous la considérons comme un mélange fertile et en proportions variables de différentes modalités de formation, en présentiel et à distance (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006) mais aussi entre des postures d’enseignement transmissif (l’enseignement au sens strict n’exige plus la présence physique en un temps et un lieu donnés, mais peut sortir de l’ex-cathedra pour atteindre l’étudiant où il se trouve) et des postures davantage liées à l’accompagnement de l’apprentissage. Les dispositifs hybrides que nous considérons ici sont ainsi supportés par une plateforme technologique (un rassemblement d’outils) et leur caractère hybride provient d’une modification de leurs constituants (ressources, stratégies, méthodes, acteurs et finalités) par une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage : il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence-distance et une autre au rapport « enseigner »-« apprendre ». On trouvera une intéressante typologie des dispositifs hybrides dans l’article de Burton et al. (2011), un fruit de la recherche Hy-SUP à laquelle nous participons.

Cette définition de dispositif contient implicitement la nécessaire cohérence entre les fins (les objectifs, les compétences …) et les moyens (ressources, outils, méthodes) ainsi que la validation de l’atteinte par les apprenants des objectifs (l’évaluation) et la validation des moyens mis en place.

2. Un dispositif pour enseigner ?

Nous sommes ainsi très proche d’une définition de l’enseignement donnée par Brown et Atkins (1988) : L’enseignement peut être regardé comme la mise à disposition de l’étudiant d’occasions où il puisse apprendre. C’est un processus interactif et une activité intentionnelle. Les buts […] peuvent être des gains dans les connaissances, un approfondissement de la compréhension, le développement de compétences en “résolution de problèmes” ou encore des changements dans les perceptions, les attitudes, les valeurs et le comportement (p. 2).

3. Un dispositif pour apprendre ?

Continuons notre cheminement : un dispositif d’enseignement (ce que l’enseignant va proposer ou faire), un dispositif pour favoriser l’apprentissage (ce que l’étudiant va construire), comment associer les deux ? Si enseigner revient à favoriser l’apprentissage, à donner à l’apprenant des occasions d’apprendre, quels sont les leviers à disposition de l’enseignant ?

Pour répondre à cette question, nous avons confronté des objectifs généraux de l’éducation (en particulier, les compétences dites transversales), les méthodes pédagogiques (en particulier, celles proches des nécessaires activités et interactivités de l’étudiant) et les potentiels des outils technologiques. De cette étude (Lebrun, 2007), sont sortis différents « facteurs d’apprentissage » réunis dans un modèle pragmatique d’apprentissage.

Facettes du processus de l’apprentissage Description de la facette
Information
Les ressources, les connaissances et de leurs supports
Motivation Les éléments du contexte qui donne du sens et de l’environnement didactique pour favoriser l’engagement
Activité Les activités relatives à l’appropriation et au développement des compétences de plus haut niveau (analyse, synthèse, évaluation, sens critique …)
Interaction L’interactivité des diverses ressources et surtout les interactions entre les acteurs, étudiants et enseignants
Production Les acquis de l’apprentissage et leurs signes, la construction personnelle ou collective …

La figure ci-dessous présente une vue dynamique de cette approche caricaturale mais pragmatique du processus d’apprentissage sur laquelle prendra appui la construction du dispositif pédagogique : les contextes, les ressources, les méthodes génératrices d’activité, les acteurs et leurs rôles, les tâches, les productions. Un dispositif (des méthodes …) sans plan, sans carte (le modèle proposé) risque de conduire à l’errance pédagogique !

4. Questions pour agir sur les cinq facettes de l’apprentissage

Nous rassemblons ci-dessous quelques considérations qui nous semblent importantes lorsqu’on souhaite construire un dispositif pédagogique « autour » d’une plate-forme Internet comme iCampus :

Informations : qu’en est-il aussi de l’information proposée comme substrat à l’apprentissage? Sa source est-elle uniquement dans le discours de l’enseignant ou alors la porte est-elle ouverte à l’information apportée par l’étudiant qui consulte revues, livres, encyclopédies … qui cherche lui-même dans la bibliothèque, dans les cédéroms?

Motivations : le contexte (au niveau du contenu et du dispositif) est-il suffisamment élucidé pour qu’un apprentissage de qualité puisse prendre place et pour que les connaissances présentées ou à découvrir fassent sens pour l’apprenant?

Activités : quels sont les outils (grilles d’analyse, démarches expérimentales, protocoles d’évaluation …) mis à la disposition de l’apprenant pour qu’il puisse construire de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences transférables et validées au travers des activités proposées?

Interactions : les «moments» du dispositif sont-ils bien balancés entre des périodes de travail collectif, travail individuel et travail de synthèse par l’enseignant?

Productions : Sait-on finalement à quoi on doit arriver, ce que l’on doit produire, dans quelles conditions … quels sont les signes de l’apprentissage effectué?

5. Du concret pour meubler le dispositif

Informer

De manière générale, lorsqu’on parle du « savoir », on imagine bien souvent une encyclopédie bien pleine. Malgré les taxonomies, le savoir, au sens large, est bien vite réduit à la connaissance, la connaissance est bien vite réduite à l’information. La société de l’information est vite devenue société de la connaissance, la société de la connaissance est vite assimilée à un apprentissage facile, généralisé … grâce à l’apprentissage « électrique », l’eLearning. Pourtant, Montaigne déjà, nous l’avait bien dit: l’étudiant n’est pas un vase à remplir mais un feu à attiser.

  • Informer aussi sur le dispositif
  • Donner les objectifs, préciser les critères à satisfaire…
  • Illustrer le contexte qui donnera du sens à l’apprentissage souhaité
  • Montrer le chemin à accomplir au travers des connaissances et compétences à construire
  • Donner des outils de reconnaissance des (de ses) compétences
  • Privilégier une granularité faible aux « documents »
  • Fournir des références Web aussi mais pas trop

Motiver

Parmi les facteurs de la motivation (Viau, 1994), nous mettons en avant ceux qui concernent le sens que l’étudiant peut donner aux activités qu’on lui propose: valeur de la tâche, compétences à développer dans l’exercice de la tâche, contrôle qu’il peut avoir sur le déroulement de l’activité. Il s’agit de rassurer les étudiants et aussi de contextualiser les apprentissages, c’est-à-dire de les rendre davantage proches des réalités de la vie quotidienne et professionnelle.

  • Souligner les nécessaires connaissances et compétences antérieures
  • Préciser les objectifs (les contenus – savoir et savoir-faire et les méthodes – sources de compétences transversales)
  • Préciser les connaissances et compétences à atteindre
  • Décrire le contexte
  • Préciser les consignes, l’agenda … les balises dans l’espace de liberté pour apprendre
  • Montrer l’intérêt et la valeur de la tâche
  • Préciser les éléments contrôlables (ce qui dépend de l’apprenant) de l’activité
  • Énoncer les éléments de soutien, d’interaction

Activer

Un apprentissage de qualité ne se bâtit pas sur un simple transfert de la matière enseignée mais sur la construction personnelle que l’apprenant va entreprendre. Même si cela fait mal aux technologues, on n’apprend pas en ligne ! On apprend « en soi ». La grosse partie de cette activité échappe quelque part à l’outil technologique et peut être le résultat du dispositif que l’enseignant met en place: à lui revient la décision de faire travailler les étudiants en groupe, de les faire plancher sur un problème, de les engager dans un projet personnel ou collectif … ou de leur « donner cours à l’ancienne » même au travers des nouveaux médias.

  • Scénariser les activités, les étapes
  • Utiliser les informations pour les traiter
  • Fournir des outils de « malaxage » des informations pour construire des connaissances
  • Proposer aussi des activités hors plate-forme
  • Travailler la cohérence des activités
  • Prévoir des activités de reconnaissance des acquis, de réflexivité sur l’action
  • Alterner applications, exercices, problèmes, cas … et apports théoriques ou modélisants
  • Donner des objectifs de production
  • Faire jouer l’apprentissage collaboratif

Interagir

Dans un ouvrage récent consacré à l’apprentissage et à la formation des adultes, Bourgeois et Nizet (1997) reprennent à Cohen la définition de l’apprentissage coopératif. Il s’agit de « faire travailler les apprenants en groupes suffisamment restreints pour que chacun ait la possibilité de participer à une tâche collective qui a été clairement assignée. De plus, les apprenants sont censés réaliser la tâche sans la supervision directe et immédiate de l’enseignant ».

Un apprentissage coopératif suppose donc un travail en groupe, mais tout travail en groupe ne signifie pas nécessairement apprentissage coopératif. Pour qu’on puisse parler d’une tâche coopérative, cette dernière doit être formulée de manière à ce qu’un étudiant seul ne puisse pas la résoudre, c’est-à-dire qu’elle nécessite une réelle coopération entre les membres du groupe. En quelque sorte, il faut qu’il y ait « dépendance » des étudiants les uns par rapport aux autres. De plus, l’enseignant doit explicitement demander et favoriser une coopération entre les étudiants. De manière plus générale, on parle de coopération lorsqu’il y a une « interdépendance positive des buts » (on réalisera ses objectifs si les autres réalisent les leurs également); on parle de compétition lorsqu’il y a « interdépendance négative des buts » (on réalisera ses objectifs si les autres ne les réalisent pas); on parle alors de travail individuel s’il n’y a pas d’interdépendance.

  • Choisir les tâches adéquates, des tâches authentiques
  • Renforcer l’interdépendance, j’y arrive si les autres y arrivent aussi !
  • Favoriser l’émergence de points de vue différents
  • Donner les occasions d’exercer l’esprit critique
  • Prévoir les feed-back aux étudiants
  • Réfléchir aux différentes formes de tutorat (technique, cognitif, affectif, métacognitif …)
  • Balancer correctement les éléments personnels et collectifs
  • Equilibrer flexibilité et contrainte
  • Profiter du passage exigent par l’écrit
  • Favoriser tout à la fois la pensée divergente (analyse) et la pensée convergente (synthèse)

Produire

L’ordinateur est avant tout un outil, un outil de production. Outil pour enseigner, outil pour apprendre mais aussi un outil qui permet à l’apprenant de construire les traces d’un apprentissage qui a eu lieu. L’apprenti du Moyen-Âge construisait déjà son chef d’œuvre, l’objet qui prouvait son savoir-faire. Une motivation importante des étudiants de ce début du troisième millénaire, dans l’apprentissage sur Internet, est de « faire œuvre dans un espace public ».

  • Produire des connaissances nouvelles …
  • Produire un objet, un travail, un « signe » de l’apprentissage réalisé, un chef d’oeuvre …
  • Favoriser la présentation, la communication, le partage
  • Confronter l’œuvre aux critères
  • Donner des outils de reconnaissance des connaissances et des compétences acquises
  • Soulever les nouvelles questions
  • Lancer un nouvel apprentissage

En route maintenant vers une illustration … encore plus concrète dans un autre billet « J’enseigne moins, ils apprennent mieux ».

Références

Bourgeois, E & Nizet, J (1997). Apprentissage et formation des adultes. Paris : PUF.

Brown, G., & Atkins, M. (1988). Effective Teaching in Higher Education. London : Routledge.

Burton, R. et al. (2011). Vers une typologie des dispositifs hybrides de formation en enseignement supérieur. Distances et savoirs 1(9), pp. 69-96. Disponible sur Internet : http://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2011-1-page-69.htm (Consulté le 19 septembre 2011).

Charlier, B., Deschryver, N., & Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et à distance : Une définition des dispositifs hybrides, Distances et savoirs, 4(4), 469-496.

Lebrun, M. (2005). eLearning pour enseigner et apprendre. Allier pédagogie et technologie. Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant.

Lebrun, M. (2007). Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : Quelle place pour les TIC dans l’éducation ? 2ème édition revue. De Boeck (Bruxelles), 206 pages.

Viau, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles : De Boeck Université.

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Un modèle pragmatique d’apprentissage ?

Que ce soit pour concevoir un dispositif de formation et d’apprentissage, pour analyser un tel dispositif, pour l’évaluer … un modèle d’apprentissage est utile. Pour moi, construire un tel dispositif demande d’identifier les manettes, les curseurs, les « facteurs » (ceux qui font) sur lesquels le concepteur, le formateur, l’enseignant va « jouer » pour favoriser l’apprentissage.
Dès les années 1995, alors que j’entrai dans les habits de conseiller pédagogique, j’ai été confronté à la pléthore d’éléments constitutifs à la mise en place de tels dispositifs : par quoi commencer ? Que considérer comme vraiment important ?
Si Piaget me disait la nécessité d’entourer l’apprentissage, de donner à l’apprenant des occasions d’apprendre (on ne peut pas apprendre à la place de quelqu’un d’autre, c’est à l’apprenant que revient la tâche d’apprendre), Vigotsky me disait l’importance de la communauté (de ses signes, de ses langages, de ses outils) …
Je veux être clair : il ne s’agit pas d’un modèle qui organiserait les différents paramètres, les différents ingrédients de l’acte d’apprendre, de l’accommodation des structures cognitives au sens piagétien. J’ai voulu construire un modèle (un patron diraient les couturiers) de manière à guider le formateur dans son entreprise d’élaboration d’un champ balisé dans lequel l’apprenant pourra apprendre.
Toujours très marqué par l’alignement pédagogique de Biggs, j’ai construit ce modèle à partir de trois intrants :

(1) une question d’objectifs, de compétences à atteindre: on nous parle (autorités, Union européenne, leaders d’opinion) de compétences telles la recherche et la validation d’informations, l’esprit critique, la littéracie numérique, le travail d’équipe, la communication …

(2) une question de méthodes et de stratégies pédagogiques : les sciences de l’éducation nous parle depuis longtemps déjà du learning by inquiry, de l’apprentissage par problèmes ou par projets, de l’apprentissage collaboratif, du peer learning

(3) une question d’outils ou mieux d’instruments cognitifs : les technopédagogues balancés entre le « I » et le « C » des TIC nous ont habitué à l’hybridation des dispositifs, à leur malléabilité voir à leur porosité entre école et société , aux nouveaux métiers et aux nouveaux rôles pédagogiques de curateur, d’activateur de réseaux sociaux, ce catalyseur d’intelligence collective …

C’est à la frontière ou mieux encore à l’intersection de ces trois champs de réflexion que se trouve ce modèle, à compléter par chacun en fonction de ses contextes. J’ai montré (1) combien il pouvait aider à structurer et à comprendre cet apprentissage généralisé (les étudiants apprennent, les formateurs apprennent, les institutions apprennent) cher aux connectivistes.

La vidéo ci-dessous présente une causerie entre Christophe Batier (Lyon I) et moi à propos de ce modèle. Bonne vidéo !

(1) Lebrun, M. (2007). Quality Towards an Expected Harmony: Pedagogy and Technology Speaking Together About Innovation. AACE Journal, 15(2), 115-130. Chesapeake, VA: AACE. http://www.editlib.org/p/21024

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