L’accompagnement pédagogique des enseignants du supérieur ou encore l’accompagnement du développement pédagogique des enseignants est un sujet « dans l’air du temps » dans les institutions d’enseignement supérieur. Je cible ce billet sur l’enseignement supérieur tout d’abord parce qu’il s’agit là de mon expérience personnelle en matière de « formation des enseignants » et aussi parce que si cette dernière est pratique courante dans l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, elle l’est moins ou alors encore peu organisée ou peu formalisée dans le supérieur. L’expression « dans l’air du temps » n’est pas à prendre comme un effet de mode ou de vitrine institutionnelle mais plutôt comme marquée par les nécessités issues des orientations « Compétences », « Learning Outcomes » (au-delà des « savoirs » mais sans les négliger), des « audits Qualité » ou encore des approches programmes nécessaires à la cohérence des actions entreprises en ces matières par les enseignants dans leurs enseignements respectifs.
Nous constatons, un peu partout de par le monde, la mise en place d’initiatives importantes, certes, mais qui risquent d’échouer par leurs portées spécifiques (développement de ressources (numériques), formation technique et pédagogique, encouragement humain et financier à la mise en place de projets institutionnels ou interinstitutionnels …) alors que les évolutions attendues nécessitent, selon moi, une vue en profondeur à la fois systémique et systématique et une action coordonnée à différents niveaux et sur différents plans. Il s’agit moins d’actions relatives aux ressources à numériser (finalement assez simples à mettre en place et plus présentes que jamais sur la toile, Michel Serres nous disant dans sa parabole « Petite Poucette » que « tout est transmis ») que d’opérations visant à un véritable changement d’état d’esprit sur ce qu’est enseigner, sur le statut des savoirs, sur le rôle des différents partenaires (institutions, enseignants, apprenants), sur le rôle de l’école, un des lieux d’écolage pour une société complexe, moins « certaine » et numérique, sur l’apprentissage formel et tous ces apprentissages qui le sont moins mais qui sont tout aussi importants face au développement exponentiel des connaissances. Cette évolution des esprits prendra du temps : nous faisons appel ici à des projets (ou à des utopies) dont les effets se construiront sur des décennies bien éloignées de la durée des mandats des dirigeants politiques et institutionnels.
A cet égard et sans en faire nécessairement un modèle péremptoire ou intransigeant, il nous semble utile de retracer plusieurs décennies d’histoire de la pédagogie universitaire à l’UCL, des années pendant lesquelles nous avons œuvré (avec bien d’autres) entre « fourmi et pionnier » à cette opération d’envergure bien loin d’être achevée … les institutions apprennent aussi « toute la vie durant » et leurs vies sont plus longues que la nôtre, modeste ouvrier de cette œuvre collective.
Outre un leadership pédagogique explicite, important et incontournable des autorités qui sera toujours bien présent en toile de fond de notre histoire, nous mentionnerons quatre composantes principales. Et même si le récit a le don d’ordonner les actions au gré du temps, ces composantes sont à considérer en interaction forte, emboîtées plus que successives : elles se déterminent l’une l’autre (une action est nécessaire aux suivantes) et elles se modifient ou s’ajustent régulièrement (une suivante reformulant une précédente initiée plus tôt). Nous n’arrêtons pas de mettre de l’ordre dans le désordre, mais le premier est précaire et se reconstitue selon les contextes, les lieux, les époques … et le second est tout aussi rebelle et se reconstruit au fil du temps.
Cependant, dans notre contexte à l’Université catholique de Louvain, et considérant que, même si tout devrait être traité en parallèle, le flux inexorable du temps fait que certaines initiatives ou certaines actions se développent et s’organisent d’une certaine manière, l’une avant les autres, l’autre après les précédentes au gré du temps propre de l’institution, l’année académique. Ainsi, nous pouvons dans une esquisse rapide, parler de différents temps d’émergence plutôt que de différentes périodes qui se sont succédées. Selon moi, ce n’est pas tant l’agencement des composantes qui est le plus important (d’autres scénarios sont possibles) que le spectre de présence de ces composantes à des degrés divers en des temps différents.
(a) L’évaluation des enseignements par les étudiants et par les enseignants : se doter d’instruments permettant de jauger le développement et l’innovation pédagogique
(b) Et donc, la formation des enseignants aux diverses connaissances et compétences de leur métier : on nous évalue ! Bien ! Mais où nous forme-t-on ?
(c) L’encouragement humain et financier des initiatives, projets et innovations pédagogiques de ces derniers : Me voilà formé ! Mais quels sont les moyens mis à ma disposition ?
(d) La valorisation des efforts consentis par les enseignants : La pédagogie d’accord mais si de plus ça pénalise ma carrière scientifique alors non !
Nous voilà prêt pour ce retour dans le temps.
Pédagogie à l’UCL … 30 ans d’histoire
Un pivot assez central dans notre récit. Sous l’impulsion du recteur P. Macq (rectorat de 1986 à 1995) et le soutien fort du recteur M. Crochet (1995-2004), l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM) de l’Université catholique de Louvain (UCL) a été fondé en 1995 avec comme mission principale « La formation des enseignants » de l’Université, mission qui allait se muer quelques années plus tard en « L’accompagnement du développement professionnel des enseignants ». Et aujourd’hui, l’UCL a adopté et soutient une politique cohérente et a développé plusieurs stratégies convergentes visant l’accroissement de la qualité pédagogique. Quelles origines à ce mouvement ? Comment en est-on arrivé là ? Quelles perspectives ?
Evaluer les enseignements pour en monitorer la qualité
Il nous semble important d’effectuer un retour encore plus en arrière dans l’histoire pour en discerner quelques temps forts : les développements dont nous parlons, les innovations qui scandent ce chemin demandent d’être inscrites, comme nous l’avons dit, dans leur nécessaire temporalité voulue par le récit. Selon nous, c’est dès les années 1980 avec l’instauration de l’EEEQ (Evaluation des Enseignements par les Etudiants au moyen de Questionnaires) dans le but de monitorer la qualité des enseignements (ainsi que de documenter les décisions d’attribution de cours), que tout a commencé selon nous ou, en tout cas, dans notre histoire pédagogique personnelle. Ces évaluations étaient alors classées dans un dossier relativement confidentiel appelé DAP (Dossiers d’Appréciations Pédagogiques). Un saut dans le temps nous conduit en 1992 avec un dossier auquel nous avons contribué quelque peu : La problématique de la réussite-échec en candidatures (appelées dorénavant Bac en Belgique et Licence en France). Parmi les conclusions, nous lisons : La formation des enseignants aux techniques d’évaluation formative et continue devra être organisée. La formation des enseignants à ce type d’enseignement plus participatif (centré davantage sur l’apprenant), et à son évaluation constituera un facteur important de réussite de ce système. On y parlait déjà de valorisation des enseignements (en particulier au premier cycle) mais, sans plus.
Former et accompagner les enseignants pour des enseignements « centrés sur l’apprentissage »
L’idée de la nécessaire formation des enseignants était en route et elle allait conduire à la création de l’IPM (Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias) en 1995. Cet institut, central et interfacultaire qui alliait déjà, par son appellation, pédagogies et technologies, allait devoir (1) se faire connaître, d’où une politique de départ basée sur l’offre de formation, (2) se faire reconnaître en tant qu’agent d’accompagnement et de changement et non comme « police des enseignants », et (3) partir des préoccupations actuelles des enseignants (leurs problèmes davantage que leurs besoins) pour diriger, avec doigté, ces derniers dans leur mission d’accompagnateurs d’apprentissage. Dès décembre 1995, sept groupes de travail d’une quinzaine de personnes émanant des différents horizons de l’université, enseignants, étudiants, services … allaient produire un dossier initiateur de nombreuses réformes ultérieures : La pédagogie à l’Université. En 1997, différents fonds épars souvent orientés « outils » (comme le Fonds pour l’audiovisuel, le Fonds multimédia …) allaient être fédérés dans le Fonds de Développement Pédagogique (FDP) marquant ainsi cette volonté de considérer l’enseignement comme un moyen pour favoriser des apprentissages de qualité et d’y investir. Evaluer les enseignants, les former, les soutenir dans leurs intentions et actions pédagogiques, toute cette mouvance allait conduire l’IPM à s’orienter davantage dans une approche de réponses aux demandes et d’accompagnement plus personnalisé envers des enseignants ou des équipes. Encore fallait-il un cap à ce foisonnement d’actions entreprises.
Une entreprise et des priorités institutionnelles
Et revoilà le leadership. A la rentrée académique 2004-2005, un pas était franchit avec l’avènement d’un prorectorat à l’enseignement et à la formation avec l’explicitation d’une priorité fédératrice : L’étudiant, au centre de sa formation ; la formation, centrée sur l’apprentissage. Une perspective de développement professionnel inscrite en frontispice du document présentant cette politique était clairement indiquée : We believe it is not only possible but vital that we give teaching as much emphasis and support as we give research. As a Stanford faculty member, academic staff member or teaching assistant, you are already recognized for your scholarship in your field. We ask that you be a leader in your teaching as well (John L. Hennessy, President Stanford University). Clairement, la voie du SOTL (Scholarship of Teaching and Learning) était tracée même si peu explicite : l’enseignant-chercheur était invité à considérer son enseignement comme un objet de recherche, un objet accompagné d’une expertise scientifique et evidence-based, à s’informer sur les pratiques pédagogiques et leurs finalités, à les expérimenter, à les évaluer (un retour sur l’évaluation), à les discuter avec des pairs et à les soumettre ainsi à la critique constructive et fertile d’évolutions (la formation se muant en communauté de pratiques), à les publier à l’instar de ce qui se fait dans la recherche … La valorisation de la fonction enseignante à l’Université allait s’ensuivre en « conséquence naturelle ». A quoi pourrait servir cet engagement souhaité par les Autorités si des perspectives de valorisation en interne et en externe n’étaient tracées explicitement ? Pour l’IPM, il s’agissait dès lors d’encourager le travail en équipe d’enseignants, d’aller vers eux sur le terrain, de développer les partages de pratiques et de doter les enseignants d’outils d’analyse et de réflexivité quant à leurs pratiques.
Le Dossier de Valorisation Pédagogique
L’évaluation, de laquelle nous sommes parti, reprenait ainsi un second souffle comme outil d’amélioration et « preuve à conviction » pour alimenter le Dossier de Valorisation Pédagogique (DVP) demandé pour les nominations et promotions dans la carrière. Ce dossier, pourtant décidé dès 2000, n’allait être vraiment installé dans les pratiques qu’aux environs de 2007 montrant par là le nécessaire temps d’émergence et de migration des innovations pédagogiques dans des institutions complexes au niveau des individus et des organes (en particulier au sein des commissions de promotion).
Le mouvement de l’IPM vers l’enseignant accompagnateur d’apprentissages, vers les équipes, vers leurs besoins et leurs demandes sur le terrain allait encore s’accélérer ces dernières années par les approches institutionnelles, communautaires, européennes, liées au développement des compétences, à la reconnaissance de ces dernières dans les cursus (VAE), aux démarches Learning Outcomes et « Qualité » … qui inscrivent les démarches individuelles (les cours) dans des approches programmes nécessaires pour assurer la pertinence, la cohérence et l’efficacité des enseignements. Les propos « généralistes » du début de l’IPM (Comment motiver les étudiants ? Comment favoriser l’interaction dans l’amphi ? Comment évaluer le développement de telle ou telle compétence…) allaient aussi se colorer des spécificités des différentes disciplines des facultés. L’approche pédagogique devenait aussi et ainsi plus didactique. L’IPM devient ainsi progressivement un partenaire des équipes locales et un agent de mutualisation des efforts entrepris par ces dernières.
C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, des conseillers de l’IPM sont dédiés, sur le terrain au sein même des facultés, à des tâches de reconstruction et de consolidation des enseignements dans le cadre de programmes (cohérence pédagogique) construits sur des référentiels de compétences. Ils restent, pour le moment, inscrits au cadre de l’IPM contribuant ainsi à la nécessaire mutualisation des expériences auxquelles ils participent et des compétences qu’ils ont acquises dans les facultés. Selon nous, il s’agit de premiers pas vers un IPM, sans doute moins central mais davantage inscrit dans un véritable réseau de centres locaux, un réseau de construction de compétences partagées, dans une communauté d’apprentissage collectif et de pratiques à l’Âge du numérique.
Quelques références d’archives
– Le site de l’IPM : http://www.uclouvain.be/ipm
– Le Fonds de Développement Pédagogique (FDP-1997) : http://www.uclouvain.be/fdp.html
– Le Dossier de Valorisation Pédagogique (DVP-2000) : http://www.uclouvain.be/97742.html
– Une formation Universitaire de Qualité (2007) : http://www.uclouvain.be/349251.html
– La Pédagogie à l’Université (Juin 96) : http://bit.ly/reussite-CEPE
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