Des étudiants, répartis sur le territoire, travaillent ensemble à la gestion et à la promotion d’une entreprise “plus vraie que nature”. D’autres, en salle informatique, s’affairent autour d’un patient en pleine alerte cardiaque. Un autre se prépare à la vie universitaire, en parcourant un univers 3D de Louvain-la-Neuve et découvrant les commerces, les auditoires, les services … les cafés de la Grand-rue. Une fiction ? Peut- être pas.
Des Serious Games pour apprendre ?
Le 4 mai, à Imagix-Mons (un lieu à valeur symbolique), se tenait la première conférence sur le jeu sérieux en Belgique francophone. Quelques participants : l’Agence Wallonne des Télécommunications, le Microsoft Innovation Center de Mons, des centres de compétences TIC, quelques entreprises en matière de multimédias ou d’eLearning (oui, oui, cela existe en Région wallonne), le Forem, quelques enseignants …
Mais qu’est-ce qui intéressait donc ces près de 350 personnes rassemblées pour découvrir ou discuter de l’intérêt formatif et économique de ces jeux sérieux ? Probablement, cette collision qu’évoque l’appellation “Serious Games”, entre des aspects sérieux et des aspects ludiques, cette redécouverte du fait que l’on peut apprendre en jouant ou en s’amusant. Le jeu sérieux est un «logiciel informatique qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo ou de la simulation informatique» (Wikipedia). Il s’agit donc bien du développement et de la mise en commun des apports du logiciel de simulation (on se souviendra de certains TP ou encore du fameux Flight Simulator), des premiers ou des tout récents jeux sur ordinateur (Pacman ou Shoot’em up), des jeux de rôles (les tout premiers de 1980 purement textuels, les actuels inscrits dans des univers multidimensionnels), des récents jeux sociaux en réseaux (citons par exemple certaines applications offertes par FaceBook) …
Dans ce qui précède, nous avons volontairement mis l’accent sur le jeu, cet espace formatif souvent relié à l’enfance mais qui reste toujours opportun pour les « grands enfants » que nous sommes parfois restés. Un environnement (le salon familial ou le Bois des rêves), un contexte (un damier ou Pékin), des rôles (le fou du Roi ou un détective à Pékin), des règles (de déplacement, d’action, de pénalité), des incidents (la mauvaise case au Monopoly ou une grève générale dans la ville SimCity), des modalités (individuelle, en groupe, collaborative ou compétitive), des objectifs ou des buts …
Dans cette description, encore sommaire pour le spécialiste, le lecteur reconnaîtra aisément des facteurs susceptibles d’encourager et de soutenir les ap- prentissages, des instruments ou des leviers précieux aux mains de l’enseignant et du formateur : contextes, rôles, défis, engagement, persévérance ..
Le jeu, un moteur de la motivation
Tout d’abord, la dynamique motivationnelle que décrit si bien R. Viau : «La motivation est un concept dynamique qui a ses origines dans la perception qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but». On retrouve bien dans cette définition des éléments ici présentés à propos du jeu : la perception des contextes et de soi-même (environnement 3D, rôle …), la valeur des tâches proposées (le sens qu’elles peuvent avoir), la construction des connaissances et des compétences, la sensation d’être aux commandes des processus enclenchés. Le jeu serait-il cet espace de transition entre une école parfois trop abstraite, trop théorique, trop conceptuelle et un environnement auquel elle prépare, trop complexe, trop aléatoire … où l’erreur n’est pas permise ? Il apparaît ainsi que le jeu sérieux sublime et instrumentalise des aspects ludiques déjà bien présents dans les études de cas, dans l’apprentissage par problèmes ou par projets, dans certains travaux de groupe. A l’UCL, nombreuses déjà sont les réalisations qui vont dans ce sens : des pédagogies contextualisées et actives qui n’utilisent pas nécessairement les technologies, des simulations d’entreprise prisées généra- lement en sciences humaines (gestion des ressources, analyse des besoins …) et en sciences économiques (marketing, chaîne d’approvisionnement, compétitivité, distribution …), des apprentissages du raisonnement clinique à l’aide de patients virtuels ..
Des jeux en réseau aussi …
Ensuite, et c’est là que les réseaux sociaux apportent encore une dimension supplémentaire, l’interaction dont les formes sont variées : interaction homme-machine bien évidemment mais surtout des interactions avec des partenaires virtuels (inscrits dans le jeu) ou bien réels (des collègues d’une autre université) … Là aussi vous pouvez réagir, agir ou interagir en étant assis devant votre ordinateur ou en étant représenté – dans le jeu – par votre double virtuel, votre avatar. Par rapport aux jeux construits en vraie dimension, les technologies permettent (comme d’habitude) de s’affranchir des contraintes d’espace et de temps, de conserver facilement les traces des interactions dans un but d’analyse ultérieur, de varier aisément les paramètres des situations-problèmes proposées.
Sur Internet, la conjonction avec des plateformes LMS, la démultiplication du nombre de joueurs, les possibilités d’interactions synchrones ou asynchrones, les outils Web 2.0 … permettront des développements dont l’ampleur nous échappe sans doute encore.
Si les potentiels en termes d’autonomie (apprendre en dehors des contraintes des cadres formels) et d’interaction sont énormes, deux questions peuvent retenir notre attention.
Pas si simple …
La question des coûts de tels développements auxquels on peut adjoindre la réflexion sur leur pérennité : si un jeu « autour de la table » ou supporté par iCampus ne coûte pas cher en termes de conception et de mise en route (il en est sans doute autrement de l’énergie déployée par l’enseignant ou par les tuteurs), la conception, la scénarisation et la réalisation d’un univers virtuel en 3 dimensions avec avatar et compagnons virtuels peuvent atteindre des coûts difficilement supportables pour un enseignement donné. Il pourrait en être autrement, au niveau institutionnel, pour l’accueil des étudiants, la formation des enseignants …
Une deuxième question plus pédagogique : si cet apprentissage dans l’action, cet exercice de mobilisation des connais- sances implicites et explicites, informelles ou formelles, cet entraînement à la prise de décision en contexte incertain sont des atouts indéniables dans la construction des compétences (mobiliser des ressources dans des contextes) … ils ne peuvent hélas suffire à un apprentissage solide, en profondeur, susceptible d’évoluer. Schön a bien montré que cette réflexion dans l’action doit être accompagnée par une réflexion sur l’action, un passage tout aussi nécessaire par la convergence, la synthèse … après la phase divergente offerte par les Serious Games.
Et finalement, si le jeu sérieux était cette occasion de récon- ciliation ou de plus grande cohérence entre l’école et la société entrée dans l’âge de l’information ? Cette école qui a parfois évacué l’affectif, l’émotionnel, l’humain, le droit à l’erreur, pour mieux se consacrer au théorique, au formel, aux réponses à des questions que le formé ne se pose parfois pas (encore) … une école au sens littéral. Une école plus soucieuse des contextes, volontaire dans la formation des compétences tant attendues par le monde socio-professionnel … Oui, mais alors aussi un contexte économique, social ou politique qui donne à cette école les moyens d’accomplir sa mission et de valoriser ceux qui y oeuvrent. Bientôt un fonds spécial pour les meilleures innovations pédagogiques en eLearning, en Serious Games
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