Cet article est le premier relatif aux effets des classes inversées. Il porte essentiellement sur les aspects cognitifs, les connaissances et compétences acquises par les élèves et les étudiants ayant reçu un enseignement en classe inversée et sur les effets éventuels de cette panoplie de méthodes. Le second portera davantage sur les éléments motivationnels. Nous ferons tout d’abord un rappel sur La ou Les classes(s) inversée(s). Ensuite, nous aborderons quelques préalables ou précautions à prendre pour aborder la question de l’efficacité des méthodes. Finalement, nous passerons en revue brièvement (en renvoyant vers des références utiles et récentes), quelques résultats.
1. De LA classe inversée aux ClasseS InverséeS
Les dispositifs pédagogiques de classes inversées sont apparus, il y a quelques années, dans le panorama des dispositifs pédagogiques (des stratégies pédagogiques). Pour ma part, après une brève allusion sur ce Blog dès 2011, j’en parlais déjà dans une causerie avec mon collègue et ami Christophe Batier lors du Congrès AIPU 2012 (Association Internationale de Pédagogie Universitaire) tenu au Quebec à l’Université de Trois-Rivières. Le propos (un peu provocant certes) concernait ce que j’ai appelé plus tard « La classe inversée » avec le slogan « Les leçons à la maison, les devoirs en classe ». Comme bien souvent dans les processus d’innovation, ce concept, cette idée initiale (issue de pionniers créatifs … on cite Eric Mazur, Jonathan Bergmann & Aaron Sans …) allait se transformer et s’adapter dans un processus progressif d’appropriation par les enseignants et formateurs pour devenir une véritable « tête de pont » de l’innovation pédagogique voire une pratique de plus en plus institutionnalisée ; en cela, l’innovation ressemble à un processus d’apprentissage à large échelle (des idées déjà-là en l’état embryonnaire, encore imparfaites qui vont se transformer par « assimilation et accommodation »). Un peu plus tard en 2016, je démontrais le large éventail de pratiques effectives sous la seule dénomination « Classe inversée » : c’est ainsi que je proposais de parler plutôt « des classes inversées » avec un éloquent pluriel.
Sur ce Blog, nous trouvons les jalons de cette évolution :
Pour le lecteur pressé, voici une petite vidéo (20 minutes) pour appréhender la largeur des dispositifs de classes inversées :
Pour le lecteur à la recherche de bases plus scientifiques à la typologie des classes inversées et à leurs effets différentiés, un article de 2016 d’Education & Formation à télécharger ici.
2. L’efficacité des méthodes pédagogiques, un large champ encore à explorer ?
Que voici une question fréquente sur les réseaux sociaux et dans les journées pédagogiques ! Une question très difficile à aborder en fait. Elle revient – légitimement – lors de la venue de chaque innovation pédagogique que ce soit l’apport de certains outils technologiques (tablettes, tableau blanc interactif …) ou encore dans le cadre de « nouvelles » méthodes comme l’apprentissage par problèmes, l’apprentissage collaboratif … On se pose alors – tout aussi légitimement – la question de l’efficacité mais par rapport à quoi : l’acquisition des savoirs, le développement de compétences et d’attitudes, l’adoption de certaines valeurs … voire par rapport à l’enseignement dit « traditionnel » dont on ne s’interroge plus sur l’efficacité, un enseignement moyen, passe-partout en quelque sorte. Dans notre livre « Théories et méthodes pour enseigner et apprendre » (De Boeck, 2007), nous écrivions à propos des outils technologiques :
« Parler de l’efficience (ou de l’efficacité) d’un outil pédagogique nécessite de se référer aux méthodes dans lesquelles cet outil prendra place et plus loin encore aux objectifs éducatifs qui les sous-tendent »
Il s’agit donc, pour évaluer l’efficacité d’une quelconque méthode pédagogique, de considérer les objectifs pédagogiques qu’elle permettra d’atteindre. S’agit-il de mémoriser, de comprendre, de résoudre des exercices ou de décortiquer des problèmes, d’analyser des situations, de développer la compétence à travailler en équipe ou à communiquer, d’élaborer un système de valeurs ? La méthode, c’est le chemin (de « odos » en grec) mais pour aller où ? Il s’agit aussi selon l’alignement pédagogique (Constructive Alignment, alignement constructif de Biggs, voir cette référence en son point III) de se doter des indicateurs qui permettront de jauger l’atteinte de ces objectifs par les apprenants, bref de se donner les moyens d’évaluer cette atteinte. Tout ceci me fait penser à la citation de Mager (un pionnier de la théorie des objectifs pédagogiques) : Si vous n’êtes pas certain d’où vous voulez aller, vous risquez de vous retrouver ailleurs. J’avais d’ailleurs ajouté « vous risquez de vous retrouver ailleurs … et de ne pas le savoir ». Richard Prégent, un auteur très connu en pédagogie, concluait sur un point relatif à l’efficacité des méthodes qu’aucune méthode n’est, en soi, meilleure qu’une autre. Tout dépend des objectifs que vous vous donnez ou mieux que vous donnez comme buts à vos élèves ou étudiants.
Pour beaucoup, ces propos, sur la cohérence à rechercher entre Objectifs, Méthodes et Évaluation relèvent de l’évidence. Et pourtant ! Voici un exemple – souvent cité, indûment selon nous, à l’encontre des méthodes dites actives – relatif aux travaux de Hattie (dans son livre Visible Learning, voir cette référence pour une synthèse). Il mena des recherches sur (aujourd’hui) plus de 1400 méta-analyses qui résument plus que 80000 études particulières sur différents types de méthodes pédagogiques. On dit même que, en tout, 300 millions d’élèves « en âge d’école » (les K-12 entre 6 et 18 ans) ont été concernés par ces recherches sur la réussite et l’apprentissage. La figure ci-dessous (tirée de cette référence) résume les résultats de son travail.
Tout d’abord, on le voit, les différentes méthodes sont classées en deux colonnes :
celle de gauche avec un rôle central de l’enseignant qui agit comme un activateur en forte interaction avec les apprenants (à ne pas confondre avec un enseignement frontal ou expositif) et
celle de droite où l’apprentissage est laissé dans une certaine autonomie guidée à l’apprenant et où l’enseignent agit comme facilitateur (apprentissage par découverte, par résolution de problèmes …) .
Par exemple, à gauche, le « Reciprocal teaching » est un enseignement dans lequel la signification (d’un texte par exemple) est construite au travers d’un dialogue serré entre l’enseignant et les étudiants. Le « Direct instruction » (trop souvent traduit par une certaine forme d’enseignement magistral) consiste en une méthode où les connaissances à transmettre sont découpées en « grains » suffisamment petits pour être accessibles aux élèves en interaction forte avec l’enseignant ou d’autres élèves en groupe. On passe ainsi du plus simple au plus complexe dans des étapes soigneusement scénarisées. On y souligne l’importance des interactions et des feedbacks dans une sorte d’échafaudage constructif. A droite, on retrouve l’enseignement sur la base de différentes situations de recherche (inquiry-based) ou de problèmes (problem-based) avec une autonomie plus grande des élèves dans la construction des savoirs.
Le paramètre « d » représente le gain entre la méthode considérée et un échantillon aléatoire (la méthode de référence). Un gain (un effet) de 1 unité représente un décalage vers le haut d’environ un écart-type (dans son livre, Hattie fait l’analogie, considérant la distribution de la taille des humains, entre une personne de 1, 60 m et une autre de 1, 83, c’est visible ; un effet de 0,29 différencierait une personne de 1,80 m d’une autre de 1, 82 m) . Un gain de 0,4 représente un gain typique (moyen) correspondant à une année d’étude « classique ».
Nulle critique donc dans ces travaux des méthodes actives ou interactives : nous y lisons plutôt l’importance mise sur la guidance de l’enseignant (activateur) et une critique d’un constructivisme « radical » dans lequel l’apprentissage serait mis dans les seules mains de l’apprenant.
Ceci dit, intéressons-nous à ce qui est mesuré (sur quoi portent les tests, objets des comparaisons effectuées) dans cette ample recherche : dans les comparaisons effectuées, on compare les résultats à des tests standardisés (dans différentes disciplines) passés par les élèves ayant travaillé dans la méthode considérée aux résultats obtenus par d’autres élèves dans la méthode de référence. Ces tests portent sur des niveaux cognitifs de l’ordre de la mémorisation, de la compréhension ou encore de l’application (des objectifs dont l’évaluation est de nature quantitative et accessible à des tests standardisés). Pour ces compétences-là et celles-là seulement, il n’est pas étonnant d’observer que la méthode de « direct instruction » (basée sur des feedbacks et des interactions fortes avec l’enseignant) donne des résultats supérieurs à une méthode du type « Problem-based learning » (davantage orientée vers la prise d’autonomie des élèves ou alors vers des compétences transversales dont la mesure du développement est hors de portée le plus souvent de tests quantitatifs).
On peut aussi considérer que les méthodes dans la colonne de droite, sans donner des résultats spectaculaires – des différences significatives – en termes de connaissances ou d’application de ces dernières, restent dans « la moyenne » : s’il n’y a pas d’effet positif (pour les compétences de mémorisation, de compréhension ou encore d’application), il n’y pas de perte non plus. Une méthode comme l’apprentissage par problèmes ou l’apprentissage par recherche vise des compétences plus larges (transversales) en particulier, l’analyse, le sens critique, l’évaluation, la créativité ou encore la recherche et la validation d’informations le plus souvent hors de portée de tests standardisés. Encore une fois, difficile de classer des méthodes sans y associer les objectifs poursuivis. C’est une question de validité du test.
C’est un constat auquel je suis de maintes fois arrivé dans le domaine des « effets des technologies et du numérique sur l’apprentissage ». Typiquement, on y compare un groupe d’élèves avec TICs et un groupe sans TIC, on prend la précaution de faire un prétest (identique pour les deux groupes) avant l’expérimentation et un posttest après l’expérimentation. On en déduit alors le gain entre les deux groupes. On conclut bien souvent par des résultats mitigés voire un NSD (No Significant Difference, pas de différence significative). Il n’y a ni gain ni perte sur les connaissances et compétences cognitives. Les auteurs concluent souvent sur des effets ailleurs, hors de portée des évaluations classiques, probablement sur des compétences de haut niveau (analyse, synthèse, créativité …) ou des compétences transversales (chercher et valider l’information, exercer son esprit critique, travailler en équipe, évaluer les productions de pairs …). Le lecteur intéressé par mes analyses ira voir cet article (que j’ai écrit en 2010) portant sur les effets des technologies et du numérique.
En voici un extrait particulièrement ciblé sur notre problématique :
Les recherches les plus fréquentes, souvent construites sur une comparaison « avec et sans technologie » et axées sur les effets en termes de « réussite » des apprenants dans un contexte limité (par exemple : une institution donnée, un outil particulier, une discipline spécifique) ont la plupart du temps été marquées par un no significant difference, un phénomène amplement relevé dans la littérature (Russell, 2009). Remarquons que ces effets en demi-teinte peuvent être étendus à des recherches « avec telle ou telle méthode pédagogique comparée à l’enseignement dit traditionnel ». Les méta-recherches pionnières de Kulik et al. allaient également déjà dans ce sens, les légères différences observées entre les dispositifs étant bien souvent entachées de variance importante ou alors noyées dans un bruit de fond lié à la variété des disciplines, aux différentes méthodes pédagogiques encadrant les outils, ainsi qu’aux modalités d’évaluations des apprentissages réalisés (Kulik et al., 1980). Environ vingt ans plus tard, Morgan dans son analyse des effets des LMS (Learning Management System) parle de pédagogies accidentelles pour les qualifier (Morgan, 2003).
Les causes les plus probables de ces résultats peu probants et peu décisifs, en termes de stratégie institutionnelle, par exemple, sont selon nous :
- soit que le véhicule technologique n’implique pas nécessairement une refonte des ressources ou de la pédagogie utilisée (le dispositif pédagogique) … pas plus que le camion qui amène les victuailles au supermarché n’améliore la nutrition d’une communauté (Clark, 1983),
- soit que les objectifs, les méthodes et les évaluations se modifiant par les usages « bien pensés » des TIC (les Technologies de l’Information et de la Communication), la comparaison avec des approches plus traditionnelles est rendue difficile ou caduque,
- soit encore que les effets recherchés (en termes de compétences ou de savoir-être) restent hors de portée des évaluations certificatives encore largement basées sur des compétences de bas niveau comme la restitution ou l’application (Bloom, 1956).
3. Les classes inversées, quels effets ?
Contrairement à ce qu’une lecture du fameux mais pervers « Les leçons à la maison, les devoirs en classe » (le slogan initial de la classe inversée en 2007-2008 : Lectures at home and Homework in class) pourrait laisser entendre, il s’agit bien dans le chef des promoteurs de la méthode et des praticiens qui s’y engagent de REDONNER DU SENS A LA PRESENCE, de mieux accompagner (que ce soit comme activateur ou comme facilitateur) l’élève dans son apprentissage, de tenir compte des niveaux et des difficultés des uns et des autres, des styles d’apprentissage … bref, d’être davantage en mesure de différentier les apprentissages. Il s’agit donc bien de mettre en place davantage de méthodes actives et interactives en classe en externalisant certains éléments relatifs à la pure transmission de savoirs (que ce soit à la maison, en classe dans des groupes d’élèves travaillant ces savoirs en ilots, dans des lieux spécialement équipés dans l’école elle-même). L’activité en classe est donc centrale (souvenons-nous du pôle « activation » de Hattie) et non pas le fait que les savoirs soient transmis par des textes ou des vidéos, c’est de l’histoire ancienne. Nous allons passer en revue quelques articles récents sur la mesure des effets de la classe inversée (le plus souvent ou des classes inversées parfois). Les titres originaux de nos sources sont donnée ci-dessous en intertitres bleus. Nous commençons d’abord par des articles sur les méthodes actives, une catégorie large qui contient la ou les classe(s) inversée(s).
Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics
Chez des étudiants de premier cycle (undergraduate students) de différentes disciplines, les recherches de Freeman et al. (2014) démontraient par une méta-analyse (255 études) que l’effet majeur de ces méthodes (par rapport à d’autres plus traditionnelles, frontales, expositives … des lectures au sens anglo-saxon) était une augmentation des résultats moyens des élèves (environ 0,5 écart-type) et une réduction du taux d’échec des élèves [PNAS, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2014, 111 (23)]. La figure ci-dessous, tirée de cet article, illustre notre propos (partie A, l’augmentation des scores lors des évaluations (l’indice Hedges’s g est proche du « d » de Hattie et une variation moyenne de 0,5 … ce n’est pas si mal) ; partie B, la réduction des taux d’échec) :
Toward a set of design principles for mathematics flipped classrooms: A synthesis of research in mathematics education
Chez des étudiants de K-12 (équivalent du primaire et du secondaire chez nous), des recherches de Chung Kwan Lo (2017) se basent sur une méta-analyse d’études comparant un enseignement en classes inversées à un enseignement traditionnel (lectures en anglais, des exposés) et ceci en mathématiques [Educational Research Review, 2017, 22, pp 50-73]. La figure résume les résultats en montrant un avantage certain aux classes inversées.
Les auteurs de cette étude dégagent aussi (dans un autre article ci-dessous) des aspects plus qualitatifs de leurs analyses (nous les citons ici car nous pensons, qu’au-delà de l’intérêt objectif des chiffres, des recherches « meta » et qualitatives devraient aussi être faites). Les classes inversées apporteraient des avantages sur les points suivant : (1) un accroissement du temps d’activité (time on tas) et de l’application, (2) intégration de nouvelles connaissances modifiant les préconceptions et (3) la possibilité de recevoir des feedbacks « en temps réel » (sans attendre que les enseignants aient corrigé les copies).
A critical review of flipped classroom challenges in K-12 education: possible solutions and recommendations for future research
Dans un autre article toujours de 2017, les auteurs du précédent retirent différents constats (des défis) et des perspectives de solutions relatives au design (scénario, méthodologie …) des classes inversées [Research and Practice in Technology Enhanced Learning, 2017, 12:4]. Il s’agit ici d’un article basé sur 936 articles (soumis à des revues et évalués par les pairs) sur l’enseignement (général cette fois) en K-12. Le schéma ci-dessous présente les différentes phases et activités « en classes inversées » trouvées dans les articles (on remarquera la prédominance du Type 1 somme toute classique, La classe inversée mais aussi d’éléments du Type 2 comme les présentations par les étudiants).
Les auteurs en retirent différents défis pour les étudiants, les enseignants et aussi au niveau institutionnel. De là, ils proposent différentes recommandations que nous synthétisons ici :
Envers les étudiants :
Expliciter les attentes et expliquer la façon de travailler (le dispositif) aux élèves (l’explicitation des consignes, de attentes, des critères … est une clé de la motivation)
Préparer les élèves à la façon d’apprendre en « mode inversé » (commencer progressivement avec des vidéos ou des textes en classe)
Délimiter le temps de travail en autonomie (en enseignement supérieur, max 20 min)
Associer une plateforme (Claroline Connect par exemple) pour les interactions en dehors de la classe (soutenir les élèves même à distance ou en autonomie).
Envers les enseignants :
Continuer à se former « aux classes inversées » : échanger, mutualiser, évaluer … avec les autres
Préparer le matériel (les ressources, les outils …) progressivement … envisager d’exploiter des ressources tierces (cfr 1).
Au terme de ce billet relatif principalement à l’efficacité des classes inversées en ce qui concerne les résultats des élèves, nous souhaitons répondre même partiellement à la question suivante : à qui profitent les effets observés ? Est-ce un décalage moyen relatif à l’ensemble de la classe (un décalage global), est-ce que ce sont « les plus forts » qui en profitent le mieux ou alors « les plus faibles » ? Quelques recherches répondent à ces questions. En général, lors d’un pré-test ou en fonction de résultats antérieurs, les élèves sont classés selon leurs performances (souvenons-nous le plus souvent sur la base de questionnaires de connaissances ou d’applications) en « faible » (low), en « moyen » (médium) et « fort » (high). Les effets (les différences entre le test initial et final après expérimentation) sont alors catégorisés selon ces trois populations.
Investigating the impact of Flipped Classroom on students’ learning experiences: A Self-Determination Theory approach
Dans cette première recherche de Stylianos et al. (2018) située pour des élèves K-12, ici des 14-16 ans), 3 cours (studies) ont été observés : un cours de technologies (TIC) avec des élèves de 14 ans (Study#1), un cours d’algèbre avec des élèves de 16 ans (Study#2) et un cours de sciences humaines et socio-économie (humanities) avec des élèves de 14 ans (Study#3) [Computers in Human Behavior, 2018, 78]. Cette intéressante recherche, menée conjointement par des enseignants et des chercheurs, portait à la fois sur des éléments cognitifs (les acquis d’apprentissage, learning outcomes, savoirs et compétences) mais aussi sur des éléments relatifs à la motivation, à l’autodétermination … nous y reviendrons dans le prochain billet.
Suite à un pré-test, les élèves ont été classés en 3 groupes (Low, Medium et High) à la fois pour le groupe contrôle et le groupe expérimental (classes inversées). La figure ci-dessous présente les gains pour les 3 catégories d’élèves dans les trois études :
L’étude montre que si tous les étudiants bénéficient de l’approche en classes inversées, les plus forts gains relatifs sont ceux des élèves de la catégorie des élèves les plus faibles. Plusieurs hypothèses se côtoient actuellement : soit les élèves les plus forts, ceux qui ont le mieux intégrés « la coutume scolaire » sont davantage déstabilisés par cette méthode plus ouverte, plus autonome ; soit les élèves les plus forts sont relativement non-dépendants de la méthode proposée ; à l’inverse les élèves les plus faibles, peu enclins à adopter les routines de l’école ou alors avides d’exercer des compétences d’un autre ordre (par exemple, les créatifs que l’école pénalise comme dirait Ken Robinson) trouvent dans la classe inversée une sorte d’exutoire ; soit … Il serait donc injustifié voire fallacieux de croire que ces méthodes interactives et interactives seraient défavorables aux élèves les plus faibles.
La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée au lycée
Terminons par une dernière étude réalisée cette fois en francophonie pour des élèves de Lycée. Vincent Faillet (2014) montre « que les élèves de bon niveau en sciences dans le système de classe traditionnelle sont globalement moins performants en classe inversée alors que les élèves de niveau plus faible dans la classe traditionnelle sont plus performants dans le système de classe inversée. Cette inversion de la performance est à rapprocher avec une adaptation des élèves de bon niveau au système traditionnel et une tendance à travailler plus pour les élèves de moins bon niveau lorsqu’ils sont dans un système de classe inversée » [STICEF, 2014, 21].
L’étude « concerne deux classes de première scientifique (n1=28 et n2=30) qui ont été suivies sur une année scolaire dans un lycée parisien. Pour ces deux classes, le cours de sciences physiques et chimiques1 a été conduit soit en enseignement traditionnel (leçon en classe et exercices d’application hors du temps scolaire) soit en enseignement inversé (leçon hors du temps scolaire et exercices d’application en classe). Ainsi, sur un total de quinze chapitres traités dans le programme, huit ont été abordés dans le cadre d’un enseignement traditionnel et sept dans le cadre d’un enseignement inversé ». En s’appuyant sur les différents tests réalisés tout au long de l’année (relatifs à la matière vue en mode inversé ou en mode traditionnel selon les chapitres), un indice de performance a été calculé : il s’agit de la différence algébrique entre la moyenne classe inversée et la moyenne académique. Plus l’indice de performance est élevé, plus l’impact de la classe inversée sur la moyenne est bénéfique. La figure ci-dessous illustre les résultats (indices de performance) obtenus par chaque élève pour l’une des classes (la classe 2 où l’effet de la classe inversée est le plus fort) :
On remarque que ce sont les élèves de niveau faible (C et D) qui sont majoritairement performants en classe inversée (indice de performance positif). Tous les élèves qui sont moins performants (indice de performance négatif) se révèlent être de bon niveau académique (A+, A voire B).
4. Quelques mots de conclusion … en attendant d’autre recherches
(1) Selon nous (et bien d’autres chercheurs antérieurs), il n’est pas possible de comparer des méthodes entre elles sans considérer les objectifs (et les modes d’évaluation de leur atteinte). Si une méthode vise à développer l’esprit critique, c’est sur ce point (aussi) que doivent porter les évaluations (ce qui ne veut pas dire qu’il faut éclipser l’atteinte d’autres objectifs de type mémoriser, appliquer …)
(2) Il ne faut pas conclure trop vite que des méta-analyses portant sur la comparaison de différentes méthodes via des observables comme l’acquisition de connaissances et leur application (les résultats) peuvent être généralisées à d’autres compétences de haut niveau (selon Bloom) ou à des compétences transversales.
(3) Même si ces analyses montrent que des méthodes comme les projets ou les situations problèmes sont moins bien classées (par rapport à ces tests toujours), cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas performantes pour d’autres compétences. C’est un appel aux Sciences de l’éducation et aux praticiens pour le développement d’instruments de mesure de ces compétences que les anglo-saxons appellent parfois « floues » (Fuzzy compétences).
(4) La ou les classes inversées poursuivent un vaste panel de compétences qui dépassent le bas niveau selon Bloom. Les recherches montrent que les résultats des élèves sont meilleurs en particulier pour les élèves les plus faibles (différenciation et variété des approches expliquent cela). Des effets sont attendus « ailleurs » là où se nichent les compétences transversales de plus en plus reconnues comme impératives pour survivre, vivre et continuer à se développer dans la Société en mutation qui se prépare. Mesurons-les.
(5) La plupart des recherches citées ici portent sur le modèle originel de La classe inversée (que nous avons appelé Type 1). Il serait intéressant d’étendre le panel par d’autres recherches sur des dispositifs de Type 2 ou de Type 3 (voir la typologie que j’ai proposée) qui accentuent encore davantage les compétences de plus haut niveau ou les compétences transversales. Nous pensons sans exclusive (le Congrès CLIC 2018 nous en a donné une foule d’exemples) aux dispositifs mis en place par Marie Soulié (les tâches complexes), Soledad Garnier (les miniflips et les professeurs de 10 ans), Christelle Caucheteux (la classe renversée au Lycée) … et tant d’autres.
(6) Et finalement, les méta-analyses que j’ai passées en revue montrent de grandes fluctuations (comme celles de Chung Kwan Lo de 2017 dans une des figures ci-dessus – celle dénommée Fig. 5 dans leur article) : les gains, selon les études vont de 0 à 1. Peut-on dès lors répondre à la question des effets de la classe inversée sauf à effectuer une « misérable » moyenne ? Chaque classe est différente d’une année à l’autre, même avec un même enseignant. Alors, d’une ville ou d’une région à l’autre ! Je dis souvent « les étudiants ne sont pas des particules élémentaires » (et les classes n’en sont pas « des familles ») et je me demande pourquoi les Sciences de l’éducation tiennent tellement à adopter des paradigmes quantitatifs inspirés des sciences exactes … du 18ème siècle. Je prône davantage des études longitudinales et transversales mais d’ordre qualitatif (comme celle des mêmes auteurs présentées après la figure) en examinant « ce qui se passe en classe » … et tant pis pour ceux qui veulent des chiffres (mais j’en ai quand même donné quelques-uns).
Vous avez aimé ce billet ? Vous avez des commentaires, des ajouts, des bémols … Merci de les écrire ci-dessous ou encore de les faire connaître sur Twitter (@mlebrun2). Vous souhaitez utiliser certains éléments de ce travail. Servez-vous mais citez vos sources. Grand merci.
Une analyse des pratiques des enseignants autour du concept de la ou des classe(s) inversée(s) permet de mettre en évidence deux grands types (en terme d’analyse des composantes) ou encore deux dimensions permettant de structurer un vaste paysage au départ des informations recoltées auprès des praticiens interrogés. Notre prochain billet sera consacré à ces recherches empiriques.
On peut d’emblée tracer un continuum entre des pratiques plutôt « centrées sur l’enseignant » (même virtualisées par le truchement de vidéos) et d’autres davantage « centrées sur l’apprenant », ce dernier considéré alors comme acteur et auteur de ses apprentissages. Comme on le sait, il ne s’agit pas d’exacerber des positions contradictoires (deux dimensions à nouveau qui sous-tendent un vaste champ de pratiques) en apparence mais de les réconcilier dans les pratiques de l’enseigner-apprendre. On trouve ainsi aux extrémités de ce continuum (de cette variété de possibles plutôt à combiner donc qu’à considérer en tension) :
de la vidéo, un média emblématique mais non rédhibitoire, à regarder avant la classe proprement dite pour, intentionnellement, consacrer plus de temps et développer davantage d’activités et d’interactivités pendant celle-ci (la classe inversée proprement dite, originelle)
des dispositifs construits par les élèves eux-mêmes dans lesquels ils deviennent à la fois « didacticiens » des savoirs récoltés sur Internet et ingénieurs pédagogiques des interactivités qu’ils ont préparées à l’intention de leurs collègues (avec, à la limite, une pratique en do it yourself appelée « Classes renversées » par notre collègue Jean-Charles Cailliez).
Il est de prime importance, selon nous, de faire les distinctions nécessaires entre les différentes façons de « faire la classe inversée ». Sans ce passage par la catégorisation, sans identifier les stratégies variées cachées derrière le concept (le slogan), comment discerner les effets tout aussi différenciés qui nous sont relatés dans la littérature scientifique, dans les blogs, dans les articles de presse ? Un document scientifique qui ne tiendrait pas compte de cette variété en analysant même finement « ce qui se passe » dans une classe donnée et parfaitement identifiée ne pourrait prétendre à la généralisation … du recul donc. Modestement, c’est ce à quoi vous invite ce document et mon approche.
En parlant deS classeS inverséeS, j’ai souhaité modestement sortir d’une certaine ornière conceptuelle dont les détracteurs de LA classe inversée (singulière, prospective, perçue parfois comme normative et souvent limitée à sa moindre facette : les vidéos à la maison, voir mon document sur ce Blog) font leurs choux gras. Pourtant le concept initial « les leçons à la maison, les devoirs en classe » a été maintes fois remanié … il en est ainsi de toute innovation : l’idée initiale, souvent imparfaite, se transforme, s’approprie, s’élargit ici ou se restreint là-bas :
The design of flipped classrooms has often been limited to the concept of replacing in-class instruction with videos and using class time for homework. In contrast, we define the ‘flipped classroom’ as an open approach that facilitates interaction between students and teachers, and differentiated learning (Bergmann et al., 2012; Keefe, 2007; Lage et al., 2000; Tomlinson, 2003) by means of flipping conventional events both inside and outside of the classroom and supporting them with digital technologies (Hughes, 2012). A notable pioneer of the flipped approach, Lage et al. (2000), did not limit “flipping” to lectures and homework. (Min Kyu Kim, So Mi Kim, Otto Khera, Joan Getman (2014). The experience of three flipped classrooms in an urban university: an exploration of design principles. The Internet and Higher Education, Volume 22, July 2014, Pages 37–50.)
C’est peut-être pour cela que les auteurs du concept initial, Bergmann et Sams, parlent aujourd’hui de Flipped Learning, d’apprentissage inversé et non plus tant de « classe inversée ».
Différentes dimensions pour structurer le paysage des classes inversées
Nous avons maintes fois présenté le schéma ci-dessous qui synthétise notre pensée (confirmée dans nos recherches – publiées dans Education&Formation ) construite au départ des descriptions que nous en ont faites les enseignants et formateurs « adeptes » ou utilisateurs occasionnels de cette pratique).
Mentionnons quelques points d’attention à l’examen de cette figure :
Les deux axes : l’axe horizontal témoigne de l’origine des savoirs transmis (présenté par l’enseignant ou amené par les élèves) et du type de savoirs travaillés (savoirs formalisés ou savoirs pratiques) entre « monde des idées » et « monde de l’expérience concrète ». L’axe vertical témoigne davantage des différents rôles ou postures tenus par les enseignants (Lavenier et al., 2015) et par les élèves.
La localisation des activités : les activités menées en classe « en présence » et celles effectuées hors de la classe « à distance » dans une optique d’hybridation (la recherche d’informations pouvant, par exemple, se faire dans le centre de documentation à l’école ou ailleurs). Le lecteur intéressé reverra mon billet de Blog sur « 5 facettes pour construire un dispositif hybride : du concret ! »
Les différents types : on y retrouve le Type 1 celui de la classe inversée proposée initialement (de manière très caricaturale, les leçons à la maison, les devoirs en classe) et le Type 2 dans lequel les activités à distance sont effectuées par les élèves eux-mêmes, de manière autonome ou en groupe, en prélude à l’activité en classe. La représentation suggère que ces deux types sont fortement prototypiques (quelque peu extrêmes), LES classes inversées les réunissant dans des proportions diverses. Nous désignerons ce mélange par l’étiquette Type 3 dans lequel les deux précédents types en constituent à la fois les ingrédients et les dimensions.
Finalement, nous avons complété la figure par une stratégie de formation, les « classes renversées » dans laquelle les élèves ou les participants à la formation y contribuent maximalement à la fois au niveau des savoirs travaillés, des activités prévues y compris l’évaluation (pour les autres élèves par exemple) en assumant tout à la fois les rôles d’enseignant et d’apprenant (Cailliez, 2015, voir ci-dessus et une vidéo ici).
De manière plus pragmatique, nous pouvons alors imaginer que les différentes activités mentionnées le long des deux axes deviennent des événements d’apprentissage à organiser au sein de différents scénarios. En voici un donné ici à titre d’exemple (les numéros se réfèrent à la figure ci-dessus) :
1 (Type 2, « distance ») : hors la classe ou encore, en généralisant, en autonomie ou sans la supervision directe de l’enseignant ou encore dans un local (un learning space) réservé pour cela dans l’école même, individuellement ou en groupe, analyser le problème proposé, faire émerger des questions, chercher les informations, instruire la thématique, ramener des éléments des contextes visités, les structurer quelque peu, préparer une petite présentation d’une manière originale … Les compétences visées seraient : recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité …
2 (Type 2, présence) : présenter, en classe, les informations et ressources trouvées, identifier les différences et repérer les similitudes avec les propositions des autres élèves ou d’autres groupes, vivre un « conflit » socio-cognitif, expliciter les préconceptions, faire émerger les questions, les hypothèses … Il ne s’agit pas uniquement de présenter un « PowerPoint » mais de préparer des activités pour les condisciples. Les compétences visées seraient : communication, animation, analyse, réflexivité, modélisation …
3 (Type 1, « distance ») : hors la classe selon le schéma initial (originel) des classes inversées ou encore, en généralisant, en autonomie ou sans la supervision directe de l’enseignant ou encore dans un local (un learning space) réservé pour cela dans l’école même, individuellement ou en groupe, prendre connaissance des théories, relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée, préparer une synthèse, exercer le fonctionnement du modèle … Les compétences visées seraient : apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser …
4 (Type 1, présence) : en classe à nouveau, consolider les acquis, faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées, préparer le transfert par l’approche d’autres situations … Les compétences visées seraient : comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes …
Une vision systémique des classes inversées
Ce scénario illustratif trouve, dans le cycle de Kolb (1984) à propos de l’apprentissage expérientiel, des éléments qui à la fois le structurent et le consolident. La figure 2 présentent cette vision systémique des événements d’apprentissage mobilisés dans les classes inversées. Nous avons également complété la figure avec les trois constituants de l’enseignement stratégique selon Tardif (1992) : contextualisation (ancrer les apprentissages dans les contextes pour leur donner du sens), décontextualisation (formaliser et structurer les savoirs d’expérience récoltés de manière à les rendre plus généralisables) et recontextualisation (appliquer ces savoirs formalisés dans d’autres situations, le transfert). Encore une fois, pour en terminer avec ces dialogues de sourds entre présence et distance, dans la figure le mot « distance » peut signifier : hors la classe ou encore, en généralisant, en autonomie ou sans la supervision directe de l’enseignant ou encore dans un local (un learning space) réservé pour cela dans l’école même, individuellement ou en groupe … l’imagination au pouvoir !
Plusieurs auteurs ont déjà approché le concept des classes inversées de manière systémique, au départ de plusieurs théories de l’apprentissage, sans cependant aboutir à une détermination de ce système au départ de différentes dimensions en interaction et sans en déterminer d’éventuels effets différenciés. Mentionnons ainsi le cycle proposé par J. Gerstein (2011) sur son Blog User Generated Education ; le cycle est construit sur différents types d’activités soit pilotées par l’enseignant (en début, par la sensibilisation au sujet et la partie conceptuelle) soit prises en charge par les élèves (ensuite, par des applications ou des activités de production et de transfert, de généralisation). Après des recherches, nous avons trouvé une filiation certaine entre ce modèle et le modèle « 4-Mat » (Format ?) de Bernice McCarthy (1987) qui l’associait (comme Kolb) à la mise en pratique ou à l’exercice de différents styles d’apprentissage (voir en annexe ci-dessous).
Ou encore le modèle compréhensif proposé par The University of Queensland en Australie qui propose un cycle inspiré du précédent, ainsi que de celui de Kolb et des démarches mises en place par Eric Mazur, professeur de physique à Harvard (Mazur, 1997). Ces derniers proposent des scénarios (en fait fortement d’inspiration béhavioriste) qui démarrent (selon le principe originel de la Classe inversée) par une prise de connaissance (une première approche) de la théorie par les étudiants au moyen de différents médias (des textes, principalement des vidéos, d’autres ressources …). L’accent est mis alors, et à juste titre, sur l’activité en classe : elle commence par (1) des tests (des questionnaires) résolus interactivement pour assurer la bonne compréhension des concepts de base, (2) des questions ouvertes (des applications, des exercices) auxquels les étudiants sont invités à répondre (souvent à groupe), (3) des questions de recherche qu’ils travaillent ensemble (le fameux peer instruction, instruction par les pairs) et dont ils partagent (par exemple par de courtes présentations) les résultats négociés et finalement (4) un test récapitulatif sur les notions couvertes par la leçon, le module, le cours …
La définition de l’université Vanderbilt résume cette approche de la classe inversée (nous traduisons) : Le concept de classe inversée décrit un renversement de l’enseignement traditionnel. Les étudiants prennent connaissance de la matière en dehors de la classe, principalement au travers de lectures ou de vidéos. Le temps de la classe est alors consacré à un travail plus profond d’assimilation des connaissances au travers de méthodes pédagogiques comme la résolution de problèmes, les discussions ou les débats.
La figure ci-dessous résume plusieurs points de cette approche qui démarre le plus souvent (point 1) par l’étude souvent individuelle des contenus de cours, vidéos, textes … pour mieux se consacrer à l’apprentissage lors de la rencontre avec l’enseignant et les autres élèves (notre Type 1 principalement).
Un cycle … à parcourir de différentes façons
Remarquons cependant que, contrairement à notre approche plus inductive (contexte et sens d’abord, concepts et applications ensuite), les cycles ci-dessus démarrent le plus souvent par l’approche des concepts d’abord (via des vidéos, des textes, des médias enrichis), la recherche de sens ensuite (via des questionnaires ou des discussions en ligne …) pour finalement aboutir sur les applications (projets, problèmes, présentations …). Il s’agit là peut-être d’une différence à rechercher dans les paradigmes éducatifs qui sous-tendent l’enseignement obligatoire (primaire, secondaire que nous étudions ici) et l’enseignement supérieur (nous avons montré que le Type 2 était plus fréquent en fin du secondaire, sans doute aussi dans le supérieur, alors que le Type 1 était davantage pratiqué à l’école primaire). Aussi de variétés liées aux disciplines, le Type 1 étant davantage pratique en … mathématiques. C’est peut-être pour cela que la Khan Academy s’est principalement développée autour de cette discipline.
Mais on peut aller plus loin en observant qu’il s’agit peut-être aussi de marques culturelles qui orientent très fort, selon moi, d’une part l’univers éducatif anglo-saxon et d’autre part l’univers éducatif latin. On sait combien les grandes inventions technologiques (l’écrit, le livre, le numérique …) ont profondément changé notre culture. Dans mon raisonnement, je remonte à l’invention du livre : les « catholiques » (je généralise sans doute un peu) redoutaient cette innovation. Pour eux, il était impensable que « les gens » puissent accéder aux savoirs (toujours et depuis longtemps sacralisés) par eux-mêmes sans la « lecture » (le cours « ex cathedra ») et l’interprétation du prêtre, d’un clerc, d’un prof … Luther, dit-on, y voyait tout au contraire une occasion pour les individus d’accéder directement aux savoirs. Une fameuse intuition si on se transporte à l’ère du numérique.
Nous résumons notre propos dans la figure ci-dessous (originale) dont le but est tout d’abord de montrer certaines tendances au niveau des types et des scénarios engendrés par le concept ou mieux, la stratégie, des classes inversées et d’illustrer surtout un grand principe pédagogique, selon nous, celui de la variété des approches pédagogiques dans des allers-retours ou mieux dans des cycles ou des scénarios entre contextes et concepts.
La figure ci-dessous comporte :
Au centre, un schéma illustrant le Cycle de Kolb (Experiential Learning)
Le positionnement de nos deux types de classes inversées (Type 1 et Type 2), le Type 3 les intégrant dans un possible scénario pédagogique (une clé de voûte dans la stratégie des classes inversées) toujours à re-construire
Les styles d’apprentissages associés au cycle de Kolb : divergent, assimilateur, convergent, accommodateur (le lecteur intéressé en trouvera une description ci-dessous)
Le cycle (en brun sur la figure) en 4 étapes (que j’appelle parfois « événements d’apprentissage ») proposés ci-dessus et décrits plus amplement dans deux articles sur The Conversation. Nous remarquons que ce cycle est « parallèle » à celui proposé par Tardif et aussi Mérieu : contextualisation, décontextualisation, recontextualisation (ce dernier point étant souvent associé à celui du transfert des apprentissages)
« Un apprentissage n’est libérateur que dans la mesure où ses acquis sont transférables » et d’autre part, il s’impose comme une exigence pédagogique, pour ouvrir de nouvelles perspectives d’apprentissage : « une connaissance n‘est véritablement appropriée que quand elle est devenue elle-même un outil pour en acquérir un autre. » (Tardif, J., Le transfert des apprentissages, Chap 1)
Un autre cycle (en violet) dont l’ancrage principal (le point de départ) réside dans l’appropriation des savoirs nécessaires par l’élève (apport de connaissances). Ce dernier cycle est proche de celui proposé par Adeline Colin (Conseillère pédagogique Châlons-Est) dans un dossier « Classe inversée » de Animation & Education (Janvier-février 2017, N° 256).
Nous voici au bout de ce billet. Il me semble clair actuellement que le concept (la stratégie) de la classe inversée s’est développée en une variété de pratiques, d’activités d’apprentissage (leS classeS inverséeS) qu’il convient à organiser dans un scénario, une organisation temporelle, orientée vers des objectifs précisés, négociés … ou en tout cas explicités aux élèves par l’enseignant. Parmi ces types, ces scénarios … faut-il alors choisir. Nous ne le pensons pas. Nous y voyons une synergie, une systémique entre différentes approches entre monde des idées (les concepts, les principes, les lois, les théories ..) et monde des expériences concrètes (les expériences, les pratiques, les perceptions, les intuitions, ce que nous avons d’humain … les émotions aussi) qu’il importera de scénariser, de cadencer au profit des apprentissages dans et pour un monde complexe.
Alors vous, vous commencez où le cycle des classes inversées, vous amorcez comment votre cours ou votre leçon ? Vos commentaires sont les bienvenus et attendus.
Annexe : Styles d’apprentissage impliqués dans le Cycle de Kolb :
Les quatre étapes proposées (expérience concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite et expérimentation active) suggèrent l’existence de quatre façons d’apprendre, de quatre façons d’aborder l’environnement : concret, réfléchi, abstrait et actif. A la jonction des étapes, on trouve donc les profils suivants :
Le style divergent (concret-réfléchi) se caractérise par l’observation et l’interprétation de situations concrètes de différents points de vue. Se mettant volontiers à l’écoute des autres, « le divergent » aime dénicher les informations (qu’il préfère à l’action) et les catégoriser de différentes façons ainsi que faire fonctionner son imagination dans l’identification de divers problèmes ;
Le style assimilateur (réfléchi-abstrait) se caractérise par l’appropriation de nombreuses informations et leur intégration concise et logique. « L’assimilateur » préfère manipuler les idées et les concepts et une bonne explication logique lui paraît plus importante que l’application ;
Le style convergent (abstrait-actif) se caractérise par la recherche d’applications pratiques aux concepts et aux théories. « Le convergent » préfère les tâches techniques, la résolution de problèmes et s’écarte bien souvent des considérations sociales ou interpersonnelles ;
Le style accommodateur (concret-actif) se caractérise par la mise en œuvre d’expériences pratiques dans lesquelles il s’implique instinctivement et personnellement. « L’accommodateur » est un intuitif qui aime relever des défis, mettre la main à la pâte et qui s’en remet facilement à l’analyse ou au jugement des autres.
Extrait de : Lebrun, M. (2005). Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : Quelle place pour les TIC dans l’éducation ?, Bruxelles, De Boeck, 206 p., (2ème éd. revue).
Le texte ci-dessous a été publié par le quotidien « La Libre Belgique » le 25 mars 2013. Depuis, ce titre à l’allure un peu provocante « de qui se mooc-t-on ? », a été repris de maintes fois. Vu son indisponibilité actuelle sur le Web, nous le republions ici.
Les MOOC, ce sont les Massive Open Online Courses, des cours en ligne (Online) ouverts (Open, on s’y inscrit gratuitement sans condition préalable) et rassemblant des milliers d’étudiants (Massive) répartis sur la planète entière. Tout a commencé, il y a 5 ou 6 ans, avec des vidéos de cours magistraux (dans tous les sens du mot) postés par Berkeley sur YouTube ou MIT sur iTunes-U. Dès 2011, de tout aussi prestigieuses universités s’associent en consortiums tels edX ou Coursera pour proposer des parcours pédagogiques en ligne alternant séquences vidéos, exercices et parfois activités collaboratives … Certains proposent un certificat de participation et d’assiduité. Dans la famille des MOOC, il est important de distinguer les xMOOC (centrés sur l’enseignant et constitués d’exposés et d’exercices) et les cMOOC (connectivistes basés sur les interactions des participants et dont le centre est partout).
Comme à chaque « nouvelle » technologie, les commentaires s’opposent entre « le côté clair et le côté obscur de la force ». S’agit-il de savoirs en boîte (du fastlearning) promus par les SuperCampus d’une éducation devenue mondiale et dont les MOOC seraient les vitrines ? Ou d’un soubresaut médiatisé d’un enseignement ex-cathedra hérité d’une époque où la lecture était la seule voie de la transmission ? Ou encore de la préparation en douce d’un guet-apens économique qui surviendra lorsque les modèles financiers seront révélés aux naïfs séduits par la gratuité toute temporaire de ces opérations pseudo-philanthropiques ? Ou alors, plus positivement, dans la lignée de l’intelligence collective, des communautés d’apprentissage et de pratiques, s’agirait-il d’une occasion historique de construire ensemble un nouvel humanisme numérique dont les apprenants (nous tous) seraient les apprentis ? Une occasion de restaurer l’humain, ses contextes et ses cultures, au sein des savoirs normalisés de la Science universelle (on n’est pas loin de l’opposition stérile entre savoirs et compétences) ?
Serions-nous des binaires séduits par le confort des propos extrêmes et réticents à vivre dans l’incertitude ? Perdons-nous si facilement la mémoire de la stérilité de ces polarisations caricaturales ? Déjà Socrate, à propos de l’écriture, une fabuleuse invention de Thot, le dieu des technologues, se montrait méfiant en évoquant le pharmakon : ces technologies sont tout à la fois un poison et un remède. Plus récemment, Michel Serres, parlant de l’externalisation de notre mémoire sur les artefacts mobiles, disait : On n’a pas le cerveau vide, on a le cerveau libre ! C’est à imaginer des tierces places que nous devons travailler. Au-delà de l’ambivalence de l’outil, les technologies sont et resteront des potentiels qu’il revient aux humains d’activer et de socialiser.
Les MOOC, tout en étant un potentiel formidable pour l’apprentissage, ne peuvent en garantir la qualité, la profondeur, le transfert. Clark en 1983 disait déjà à propos des médias : Pas plus que le camion qui amène les victuailles au Supermarché ne peut améliorer la santé d’une population … les médias ne peuvent de facto apporter des valeurs ajoutées à l’apprentissage. La relation entre enseigner et apprendre est systémique, non linéaire. C’est par le dispositif construit « autour des ressources », un dispositif constitué d’outils certes mais aussi d’activités signifiantes et d’interactivités édificatrices, c’est par la formation des étudiants et des enseignants tous apprenants, qu’apparaîtront les valeurs ajoutées attendues des technologies. Quelle vision et quelle place explicite pour le numérique dans la formation ? Nous travaillons aujourd’hui à un nouveau genre de plateforme Claroline Connect qui permettra au tissu relationnel humain d’activer le potentiel de ces technologies. Serez-vous prêt à l’utiliser ? Plus que d’outils et d’usages, ce sont des mentalités à changer : rapport aux savoirs, aux compétences, aux rôles à jouer …
Ce billet portera sur la contribution de deux collègues, Alain Beitone et Margaux Osenda, qui ont publié « La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque » (des extraits de cet article seront proposés en bleu ci-dessous)
Il ne s’agit pas pour moi de « répondre » à leurs arguments ou de les démonter en tentant de démontrer combien le propos serait incorrect, inapproprié, fallacieux … Je l’ai souvent dit : en matière d’innovation (gardons ce concept pour le moment), il me paraît important de considérer tous les points de vue même ceux envers lesquels, personnellement et subjectivement, on ne peut d’emblée marquer son accord. En effet, les propos des thuriféraires et autres évangélistes doivent être considérés avec circonspection voire méfiance, ceux des « grognons » (comme je les appelle chaleureusement) avec attention en ce qui concerne les alarmes qu’ils nous envoient. Les propos des uns et des autres, considérés dans leurs extrémités caricaturales, témoignent tous les deux d’une recherche inassouvie de « la vérité » (à propos de l’école, de ce qu’elle devrait être, par exemple) qui se traduirait par des normes auxquelles il conviendrait d’adhérer. S’il y avait une théorie de « la gravitation universelle » en pédagogie, ça se saurait. Notre avis est que cette « vérité » est plurielle sous-tendue par des dimensions (non nécessairement contradictoires mais plutôt orthogonales) qui balisent un vaste panorama constitué de pratiques effectives et de référents, il est vrai, bien souvent implicites : les élèves ne sont pas des particules élémentaires et la tentation des sciences de l’éducation d’adopter les paradigmes des sciences exactes me semble bien illusoire. Ce sont ces tensions qui déterminent l’évolution à la fois de ces pratiques et de ces idées et la connaissance de celle-ci permet à chacun, en connaissance de causes, d’agir, d’expérimenter, de construire son chemin, son apprentissage … à la recherche de nouveaux équilibres toujours à reconsidérer. Une certaine façon d’apprendre … ou de concilier de manière interactive doxa (les opinions par exemple) et episteme (la Science).
Je reprendrai donc certains éléments de l’article en question (en bleu), non pas pour les démonter, mais pour les mettre en dialogue (socratique) avec d’autres interprétations permettant ainsi au lecteur de progresser et pourquoi pas d’expérimenter à son tour en praticien réflexif.
La classe inversée n’a rien d’innovant ! Encore ces pédagogies actives déjà fort anciennes ! Et la recherche qui ne nous dit rien ou pas grand-chose
La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque
Introduction
Comment expliquer cette mobilisation institutionnelle en faveur d’une innovation qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a pas fait la preuve de son efficacité pédagogique et didactique ? La réponse est assez simple : l’un des axes de la « loi sur la refondation de l’Ecole » est formulé ainsi : « L’école change avec le numérique ». Dès lors, tout ce qui permet de favoriser le recours au numérique (TICE) sera soutenu par le ministère. Il se trouve que cette idée enthousiasme aussi les vendeurs d’ordinateurs et autres « tablettes numériques » et que les élus locaux qui dotent les écoles, les collèges et les lycées, de matériel informatique sont tout heureux qu’on les utilise en inversant la classe.
L’argument est proposé pour comprendre l’implication (l’engouement) des structures institutionnelles dans le mouvement de « la classe inversée » (un terme – en substitution à « pédagogie inversée » – que je préfère à ce niveau car il s’agit davantage de changements au niveau de la classe que d’un bouleversement de la pédagogie : la classe inversée est une stratégie pédagogique héritière du constructivisme, du socio-constructivisme et d’autres courants déjà bien établis). Si l’école change (doit changer) avec le numérique, ce n’est pas tant une affaire d’outils ou de ressources numériques que de comportements, principalement dans le rapport aux savoirs et aux rôles des acteurs. L’école doit changer avec le numérique car son ambition est de préparer les élèves à vivre et à oeuvrer dans une société déjà et très largement devenue numérique (le choix est déjà fait !). Comme on le dira plus tard, des pionniers ont pratiqué l’inversion sans le recours au numérique … mais on ne peut dire à la fois que cette « pédagogie » est archaïque et qu’elle serait le fruit d’une société en voie de transformation par le numérique ou encore la source d’intérêts juteux attendus par les vendeurs de tablettes. Tout au plus, le numérique a donné une impulsion à la diffusion de cette pratique. Fille du numérique (considéré comme technique), non. Fille d’une société en transformation, oui.
Trois traits caractéristiques de l’innovation sont présents dans le mouvement relatif à la classe inversée : (1) il s’agit d’une émergence propulsée par les enseignants eux-mêmes (la participation au congrès CLIC est illustrative de cette effeversecence et de la diffusion, de la percolation dans les pratiques), (2) cette émergence pionnière est adoptée voire accommodée à large échelle par d’autres praticiens et (3) le mouvement est considéré, soutenu, parfois porté par la structure … Que ce soit les travaux d’Everett Rogers sur l’adoption des innovations ou encore ceux de Charlier, Bonamy et Saunders (les pionniers, les enclaves, les têtes de pont, les pratiques ancrées), on remarque bien cet effet de percolation progressive des idées de quelques uns dans la ou les structures.
Enfin, les partisans habituels de la doxa éducative se sont convertis très vite à la pédagogie inversée en soulignant qu’au fond il s’agit d’une utilisation de leurs idées fort anciennes : l’élève au centre, le refus de la « pédagogie descendante », le travail de groupe, la « co-construction » du savoir, etc. On a donc là une puissante coalition d’intérêts qui permet d’expliquer le succès de la pédagogie inversée.
Oui, la classe inversée est à la rencontre de plusieurs courants qui ont traversé et traversent le champ de l’éducation. On cite souvent les pratiques de Célestin Freinet comme précurseur aux classes inversées (utiliser des technologies de l’époque, relier la classe à la société qui l’entoure et à laquelle elle prépare …). Oui, peut-être, mais ces pratiques annonciatrices n’ont pas vraiment « fait école » ou ne se sont que fort peu déployées. L’évolution de la société et sa complexification nous conduisent à la recherche d’autres cohérences ou d’autres équilibres. Cette cohérence est à souligner comme signe de la robustesse de l’approche. Cette rencontre, encore à structurer, est potentiellement (seulement) fertile pour construire une cohérence pédagogique entre :
les objectifs, les compétences à développer chez les apprenants, plus récemment des acquis d’apprentissages (ou Learning Outcomes), ce que « l’étudiant sait, comprend, est capable de faire et de, lui-même, le démontrer »;
les méthodes d’apprentissage en particulier celles congruentes aux facteurs d’apprentissage comme les méthodes actives et interactives, les approches par situations-problèmes, par études de cas, les apprentissages collaboratifs ;
les approches innovantes de l’évaluation (certificative mais aussi formative, l’évaluation par les pairs, les approches réflexives);
et enfin, en nous répétant, les changements induits par le numérique dans son sens le plus large non limité à l’informatique ou à la technique (rapport aux savoirs, aux rôles, l’externalisation des ressources de connaissances, les nouveaux modes de médiation et de relations). Il ne s’agit pas comme auparavant de « numériser l’école » mais de prospecter d’autres rapports aux savoirs et aux rôles pour continuer à apprendre toute la vie durant en s’appuyant sur l’externalisation des ressources de connaissances et sur les nouveaux modes de médiation et de relations induits par le numérique.
On ne peut qu’être frappé par le fait qu’il existe très peu de travaux tentant de répondre à ces questions (Bissonnette et Gauthier, 2012). Certes, beaucoup de textes militants rédigés par des partisans enthousiastes de la pédagogie inversée circulent, mais ils ne reposent pas sur la posture de distanciation critique qui nous semble nécessaire si l’on veut évaluer les effets d’une méthode d’enseignement.
N’oublions pas que le mouvement de « la classe inversée » est fort récent. Néanmoins, au-delà de textes militants (bien souvent adeptes du « côté clair »), des articles scientifiques récents (à charge et à décharge) sont disponibles :
Marco Guilbault et Anabelle Viau-Guay, « La classe inversée comme approche pédagogique en enseignement supérieur : état des connaissances scientifiques et recommandations », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 33-1 | 2017, mis en ligne le 06 mars 2017, consulté le 05 juillet 2017. URL : http://ripes.revues.org/1193
Marcel Lebrun, Coralie Gilson et Céline Goffinet, Vers une typologie des classes inversées : Contribution à une typologie des classes inversées : éléments descriptifs de différents types, configurations pédagogiques et effets, Education et formation, e-306, Janvier 2017, http://revueeducationformation.be/index.php?revue=25&page=3
Vincent FAILLET, La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée au lycée, Rubrique de la revue STICEF, Volume 21, 2014, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 04/05/2015, http://sticef.org
Rien de bien nouveau sous le soleil, il s’agit là d’éléments très répandus de la doxa pédagogique.
I.Qu’est-ce que la pédagogie inversée ?
I.1. Un conte de fée pédagogique
De très nombreux professeurs adoptent l’un ou l’autre de ces manuels et le suivent scrupuleusement avec leurs étudiants qui doivent lire les chapitres avant le cours. Les séances collectives en amphithéâtre servent à répondre aux questions, revenir sur des points délicats, aider les étudiants qui n’ont pas pu résoudre les exercices qui figurent en annexe des différents chapitres. On ne voit donc pas quelle est l’originalité d’E. Mazur et, s’il s’agit bien de « classe inversée », on peut constater qu’il ne s’agit pas d’une innovation, mais d’une pratique fort ancienne […]. Rien de bien nouveau sous le soleil, il s’agit là d’éléments très répandus de la doxa pédagogique.
Ce premier point, sur le ton « il était une fois … », fait le tour de quelques pionniers comme Eric Mazur, Salman Kahn, Jon Bergmann et Aaron Sams … Personnellement, je cite fréquemment mon professeur de première année d’université qui utilisait en effet un textbook dans un schéma de classe inversée … c’était en 1972. La classe inversée est-elle dès lors une innovation ? Même si cette interrogation est inintéressante au possible (il ne s’agit pas de « faire moderne », d’innover … pour innover, nous l’avons dit ci-dessus), il nous faut comprendre ce qu’est une innovation :
Même si l’outil ou l’usage sous-jacent ne sont pas nouveaux, le terme innovation se réfère toujours à un contexte donné particulier, une communauté, un service, un individu. Que quelqu’un dans le monde ait déjà, bien avant, mis en place une telle pratique ne change rien dans la considération qu’un autre individu, ailleurs, l’adopte et l’adapte à son contexte personnel, voire la fasse connaître à d’autres dans son environnement.
En outre, pour être qualifiée d’innovation, il faut encore que cette pratique percole dans le système, se diffuse, provoque des échanges, en bref soit catalytique.
La pédagogie inversée contre « le traditionnel » … tout contre ?
I.2. Pédagogie inversée ? Mais de quoi s’agit-il ?
Les présentations de cette démarche sont nombreuses et très semblables. Par exemple : « La classe inversée – flipped classroom selon sa désignation anglo-saxonne – est une approche éducative apparue aux États-Unis à la fin des années 1990, pour laquelle la leçon est librement accessible sous format numérique (très souvent vidéogramme en ligne mais aussi diaporama, site web, etc.) ou sous format littéral (livre de classe, polycopié, etc.), à charge aux élèves de la travailler – phase d’acquisition – en amont, hors de la classe. Le temps de présence en classe, est mis à profit, quant à lui, pour des exercices applicatifs et des phases dialoguées explicatives d’une part entre élèves et d’autre part, entre élèves et professeur » (Faillet, 2014, p. 652). Voilà donc en quoi réside l’inversion : le temps passé en classe par le professeur et les élèves, au lieu d’être utilisé à un « exposé du savoir » par le professeur est consacré à des activités coopératives entre professeur et élèves (d’où une dimension d’instruction par les pairs). Marcel Lebrun, dans une vidéo du site Canopé, distingue la pédagogie traditionnelle où on enseigne en présentiel et on apprend à distance et la pédagogie inversée où on enseigne à distance et où on apprend en présentiel. Dans ce qui est appelé « approche traditionnelle » on suppose donc que le professeur enseigne en présence d’élèves qui n’apprennent pas (ne s’approprient pas les connaissances), cet élément essentiel étant renvoyé au travail à la maison dans le cadre duquel les élèves ont seuls la charge de l’appropriation des savoirs. Sur la base d’une présentation aussi caricaturale de la « pédagogie traditionnelle », la classe inversée apparait comme une révolution copernicienne : il s’agit de faire apprendre les élèves en présentiel ! Tout l’argument repose donc sur la véracité de la présentation de la pédagogie traditionnelle.
Comme je l’ai dit en introduction, décrire des pratiques, un panorama des pratiques ne peut se réduire à la seule considération de quelques dimensions toutes facilement réfutables : l’enseignant ne ferait-il donc que de transmettre des savoirs en classe, des savoirs que l’apprenant pourrait très bien apprendre seul « à la maison » (ou mieux sans l’intervention ou la supervision directe de l’enseignant) ? L’élève n’apprend-il donc pas en classe et l’enseignant n’accompagne-t-il pas l’apprenant dans son apprentissage ? L’un contre l’autre, l’un avec l’autre ? On l’aura compris, je l’espère, ces dimensions (en gros une pédagogie centrée sur l’enseignant et une pédagogie centrée sur l’élève) sont caricaturales (je l’admets) mais sont énoncées afin de faire comprendre la variété de pratiques sous-tendues … il s’agit selon moi d’ingrédients à malaxer (à scénariser) afin d’optimiser ce qui est recherché : l’apprentissage de l’élève. Le concept de classe inversée (« la classe inversée », Flipped Classroom) a démarré il y a une dizaine d’années avec un slogan « Lectures at home and homeworks in class » (Les leçons à la maison, les devoirs en classe). Ce slogan, tout en portant déjà l’idée d’une hybridation entre présence (en présence de l’enseignant) et distance (en autonomie), prêtait évidemment le flanc à différents propos adversaires à la stratégie en question (isolement de l’apprenant, dépossession des fonctions de l’enseignant …) et l’article dont nous débattons est en droite ligne de cette vision dépassée de la classe inversée. Les lecteurs de mon Blog ont bien perçu cette évolution qui conduit de la classe inversée aux classes inversées; Les concepteurs des Flipped Classroom, Bergmann et Sams aussi en rebaptisant le concept initial par Flipped Learning; mes recherches de 2016 ont montré combien le concept initial s’était transformé.
Cependant, et quitte à mattirer les foudres des évangélistes enclins à l’absolutisme et les reproches des grognons pour mon relativisme, je reste convaincu, rejetant la paresse intellectuelle de la catégorisation, qu’un bon enseignement repose sur un large principe de variété des apprentissages : on apprend en faisant, en expérimentant, en cherchant par soi-même, certes mais aussi en écoutant, en imitant … Tout en restant tellement heureux de transmettre mes quelques savoirs (un peu comme donner la vie en quelque sorte), je suis aussi partisan et de longue date des méthodes actives. Cependant, je reste capable aussi de présenter voire de défendre certains « avantages » du « traditionnel » pour mieux consolider à la fois mon argumentaire et mes pratiques actives. A un point tel, qu’un jour un collègue m’a demandé « si je retournais ma veste ». C’est dans l’interaction des contraires que se construit la connaissance bien loin des immobilismes et des replis que fécondent « le côté clair » ou « le côté obscur » de toute invention humaine conceptuelle ou pratique. L’analyse et la synthèse de ces contraires aboutit à une pensée davantage systémique. Le propos n’est pas de remplacer l’un par l’autre mais de rechercher les équilibres possibles entre l’enseigner et l’apprendre, entre présence et distance, entre informations et connaissances, entre savoirs et compétences. Pour cela, pour se faire comprendre, il faut parfois forcer le trait … j’en ai pourtant rencontré de futurs enseignants, des enseignants en fonction aussi qui confondaient « enseigner » et « apprendre ».
Néanmoins, une version trop étriquée de la classes inversée (avec un accent fort sur l’enseignement porté en ligne par le truchement de vidéos) comme celle mise sur le billot dans l’article que nous analysons, risque en effet de conduire à une fossilisation des pratiques (exposé de la matière, réponse aux questions s’il y en a, exercices d’application) sans bénéfice substantiel. Redonner du sens à la présence à l’heure de l’externalisation des savoirs tel est le véritable enjeu de la classe inversée … encore faut-il (savoir) le faire.
Mes observations m’ont cependant montré que la prise en compte de l’inversion (ce que j’ai appelé Type 1, la classe inversée originale) conduisait effectivement certains enseignants à modifier les pratiques en classe. D’autres ont étendu le concept original en modifiant les pratiques à distance (il ne s’agit dès lors plus -seulement- d’une transmission virtualisée des savoirs) : les élèves sont ainsi chargés d’aller chercher eux-mêmes les savoirs – de manière guidée ou ouverte – et de les ramener en classe (ce que j’ai appelé Type 2). De nouveau et au sein même du concept de classe inversée, deux tendances s’affrontent entre « savoirs transmis à assimiler » et « savoirs à découvrir et à construire » … C’est pourquoi, dans une optique toute systémique, j’ai proposé un Type 3 – les classes inversées, le pluriel est important – dans lequel les deux approches se renforcent mutuellement … Traditionnel virtualisé (par l’usage des vidéos) et pédagogie ancienne (je pense à Piaget, Freinet, Vigotsky, Bruner … mais aussi à Socrate ou à Ibn Khaldoun) enfin réconciliés. L’un, l’autre ? Non, les deux à la fois. On est donc selon moi bien loin de :
C’est en raison de ce caractère simplement expositif considéré comme suffisant pour accéder au savoir que nous parlons d’une pédagogique archaïque à propos de la classe inversée
La classe inversée : une pédagogie inégalitaire … pour mieux tenir compte des différences
I.3. Affirmez, affirmez, il en restera toujours quelque chose !
Pourquoi la pédagogie inversée apparait-elle comme un moyen efficace d’aider les élèves en difficulté ? Comment cette efficacité est-elle mesurée ? Comment cette efficacité (si elle existe) est-elle expliquée ? Nous n’en saurons rien. Aucun argument ni aucune enquête empirique ne sont mobilisés pour fonder cette affirmation. Les lecteurs sont priés de partager la croyance des auteurs quant à « l’apparition » d’un moyen efficace de lutter contre les inégalités.
Si l’enseignement dans nos pays (la France, la Belgique …) sont parmi les plus inégalitaires, il nous faudra quand même bien mettre en question les formes de l’enseignement actuel et tenter d’autres approches. L’une de nos hypothèses est que les savoirs de l’école sont par trop désincarnés (essentiellement episteme) pour que les élèves puissent réellement en comprendre à la fois l’essence et la pertinence pour comprendre le monde (doxa) et contribuer à son évolution : on leur enseigne les trois lois de Kepler sans leur dire qui est Joannes Kepler, sans leur expliquer en quoi les énoncés de ces « lois », dans un mouvement caractéristique de la Renaissance, signifient un acte libératoire de la pensée jusque-là subordonnée aux dieux tout-puissants, sans en donner la compréhension qu’elles nous offrent du Cosmos bien au-delà de leur pouvoir calculatoire. Ainsi, la classe inversée, dans sa version originale, le Type 1, en s’appuyant – en partie du moins – sur l’externalisation des savoirs à large échelle permise par le numérique, transforme l’espace-temps de la classe en un autre lieu de compréhension (prendre avec soi). Une autre hypothèse est que, tout comme l’apprentissage n’est pas un « coller-copier » de l’enseignement (ça se saurait) et malgré la robustesse et la pertinence des lois, des modèles, des théories … l’humain les interprète, les reconstruit en fonction du déjà-là et du « pas encore là ». La « bonne réponse » ne peut faire oublier, n’oblitère pas les connaissances – même si naïves – construites antérieurement dans des cadres informels, au départ des perceptions, des vécus … et il y a là sources d’inégalités que le savoir formel ne peut combler. C’est pourquoi, nous avons proposé un Type 2 dans lequel la classe devient un atelier de déconstruction, reconstruction des savoirs récoltés par les élèves eux-mêmes : contextualiser, décontextualiser, recontextualiser … C’est de la variété, du conflit entre les idées et les perceptions qua naîtra la vérité (c’est cela le foisonnement épistémique qui m’est reproché dans la suite de l’article en question).
Les inégalités ou mieux les différences sont mieux prises en charge dans les pratiques des classes inversées. C’est un fait que nous avons mis en évidence dans nos recherches (notre article de 2017, ci-dessus). Que ce soit au niveau des contenus travaillés par les élèves, des processus (des dispositifs) mis en place par les enseignants, des productions attendues de la part des élèves, nous avons observé des différences très significatives entre les pratiques usuelles et les pratiques inversées et au sein de ces dernières, des différences entre les différents types que nous avons mis en évidence.
On me dira sans doute qu’il s’agit de déclarations d’enseignants qui pratiquent, qui sont donc suspects … je dirai « oui, justement ».
La classe inversée : des résultats incertains
Nous l’avons déjà évoqué, les défenseurs de la pédagogie inversée (comme, de façon générale les promoteurs de diverses innovations pédagogiques) procèdent par affirmations péremptoires. Ils supposent sans doute que la répétition de ces affirmations conduira en fin de compte à les faire considérer comme allant de soi. Nous allons soumettre à examen critique quelques-unes de ces affirmations. […] La pédagogie inversée a-t-elle des effets positifs sur les apprentissages des élèves ?L’article de Bissonnette et Gauthier (2012) montre, à la suite d’une méta-analyse des travaux existants, que l’on ne peut pas conclure par l’affirmative à cette question. Mais ces auteurs sont sans doute suspects de conservatisme pédagogique aux yeux des adeptes de la pédagogie inversée.
Oui, cela ne m’étonne pas trop. Beaucoup de recherches portant sur les effets de différentes initiatives pédagogiques (utilisation de technologies, mises en place de méthodes pédagogiques particulières …) conduisent bien souvent à des constats en demi-teinte. A un point tel que des chercheurs férus de ces méta-analyses, en ont déduit une sorte de phénomène baptisé no significant differences (pas de différences significatives). Nous avons déjà eu l’occasion de commenter ces résultats décevants pour les uns, rassurants pour les autres (il n’y a pas de différence, ça aurait pu être pire), douteux pour certains. A une autre échelle, l’enquête PISA 2015-2016 et le travail proposé par l’OCDE (Connectés pour apprendre) concluaient à propos des usages du numérique : les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. Nous avions apporté trois commentaires à ces constats :
Bien souvent, nous constatons que l’adoption trop rapide d’une nouvelle technologie (prenons le TBI, tableau blanc interactif) ou d’une nouvelle pratique conduit à l’observation fréquente d’une fossilisation des pratiques : on refait avec le nouveau outil ou avec la nouvelle pratique ce qu’on faisait avant (il s’agit en partie du niveau S – Substitution – du modèle SAMR. En termes d’apprentissage, il s’agirait d’assimilation davantage que d’accommodation. Bref, les résultats sont fort peu différents … parce qu’il n’y a pas de différences fondamentales dans les processus.
Ensuite, ces nouveaux outils, ces nouvelles pratiques sont souvent porteuses d’intention (d’objectifs) visant à étendre ou à apporter des valeurs ajoutées à l’apprentissage. Sans exclusive, on dépasse le niveau des savoirs (comprendre, appliquer …) pour tenter d’accéder à des compétences telles la créativité, le travail d’équipe, l’esprit critique, la communication. Mais à l’heure de l’évaluation, ce sont les savoirs qui sont interrogés (en savent-ils tout autant ? en savent-ils plus ?) bien souvent par des questionnaires normalisés (pour pouvoir comparer). Bref, les résultats fort peu différents nous apprennent qu’il n’y a pas de perte au niveau des savoirs … les apports sont sans doute « ailleurs » hors de portée des évaluations actuelles.
Et finalement, même si on tentait de mesurer ces effets-là (les compétences), on pourrait se poser les questions suivantes : forme-t-on vraiment les élèves pour qu’ils développent ces compétences (sans penser par un cours d’esprit critique) ? Forme-t-on vraiment les enseignants à ces pratiques fertiles en développement de compétences ?
Des capsules vidéos motivantes en soi … comme les jeux vidéos
La question de la « motivation » des élèves et de leur « participation active » comme moyen d’apprentissage efficace est souvent mise en avant par les partisans de la pédagogie inversée. Par opposition au cours « traditionnel » qui serait « magistral » et « ennuyeux », la pédagogie inversée permettrait de rendre les élèves « actifs » ce qui favoriserait leur réussite : « la pédagogie inversée incite les élèves à être plus actifs en classe et à devenir véritablement acteurs de la construction de leurs savoirs à travers les différentes activités qui leur sont proposées ». Cette pratique pédagogique s’inscrit donc dans le courant des « pédagogies novatrices » visant à promouvoir les « méthodes actives ». Celles-ci correspondent à un ensemble de procédés dont l’objectif est de « mettre en activité » les élèves. Dans cette optique, favoriser la participation des élèves pour les « motiver » devient un objectif majeur. Un argument fréquemment avancé consiste à dire que les élèves sont familiers avec les écrans et que le seul fait de passer d’une forme ennuyeuse (le cours du professeur) à une forme ludique (l’écran du téléphone, de l’ordinateur ou de la tablette) motiverait les élèves. On aimerait comprendre comment la motivation à participer à un jeu vidéo est transférée par magie au fait d’écouter un professeur expliquer en voix off une démonstration mathématique.
Je ne puis que partager très positivement les premières lignes de la citation ci-dessus. Oui, apprendre est une opération intellectuelle qui ne peut être réalisée que par l’individu lui-même (je le dit souvent « on ne peut apprendre à quelqu’un d’autre » ou encore « pédagogie active, un pléonasme »). Par contre, réduire la motivation ressentie par les élèves à la seule présence des capsules vidéos révèle soit une mauvaise compréhension des facteurs de motivation (voir par exemple les ingrédients proposés par Rolland Viau) soit de la place exacte de la vidéo dans la classe inversée. Par contre « regarder une vidéo » n’a rien de très stimulant et cette injonction risquerait de conduire à la même inactivité que celle imputée au cours magistral. Mais il ne s’agit pas de cela : le contenu du cours étant partiellement à la fois objectivé dans la capsule vidéo et manipulable, il peut (il doit) faire l’objet d’une activité (d’application, d’analyse, de synthèse …) qui dépasse la simple visualisation. Tout cela demande des consignes claires, une tâche précisée à accomplir … ce qui est bien loin d’une pédagogie de l’invisible, de l’inexplicite ou encore de surface que décrit la suite de l’article.
Une pédagogie centrée sur l’élève qui va apprendre seul
L’affirmation revient souvent : « Le dispositif de classe inversée permet le passage d’un modèle centré sur le professeur vers un modèle centré sur l’apprenant afin de répondre aux besoins individuels de chacun. L’idée de base est la suivante : « Il vaut mieux utiliser le temps de regroupement en classe pour interagir et travailler ensemble que de laisser une seule personne exposer, en l’occurrence le professeur » (Roussel et alii, 2013). Dans le même sens : « L’enseignant est un accompagnateur : il va passer de groupe en groupe, apporter de temps en temps des corrections, guider, recentrer… depuis que j’enseigne avec cette approche, j’ai vraiment le sentiment d’être plus utile, de ne plus être face aux élèves mais avec eux » (Rachedi, 2015, p. 27). Nous sommes toujours dans le discours de l’affirmation, de l’expression d’un « sentiment ».
Encore une fois, si l’on comprend la classe inversée uniquement comme un moyen de transmettre les savoirs habituellement transmis par l’enseignant en classe, il ne s’agit de rien d’autre que d’une pédagogie centrée sur l’enseignant même si ce dernier est en quelque sorte virtualisé. Cette compréhension restreinte prête le flanc à la plupart des critiques : des élèves peu motivés, des enseignants à la fois dépossédés mais qui reste l’oracle des savoirs à léguer, une tradition orale qui se transforme tout en perdurant … J’aurais bien envie de dire que la classe inversée s’appuie en effet sur des principes pédagogiques archaïques qu’elle remet en vigueur en les installant enfin dans les pratiques (une synthèse de maïeutique, de behaviorisme, de constructivisme, d’apprentissage social …). Et pourquoi cette centration sur l’élève serait-elle plus efficace ? Une confusion lexicale me semble à l’origine de cette empoignade : en français, enseigner et apprendre sont quasi-synonymes car « on peut apprendre quelque chose à quelqu’un ». Par extension, j’enseigne, donc ils apprennent. Il suffit pourtant de regarder les résultats des élèves pour se rendre compte que ce « copier-coller » des savoirs du maître vers le cerveau des élèves ne fonctionne pas. En espagnol ou en anglais cette confusion n’existe pas : selon les dictionnaires de la langue anglaise « to learn someone something » n’existe pas ou alors est le fait de personnes … mal éduquées. Apprendre ne se réduit pas à être enseigné, c’est à l’apprenant d’apprendre, lui seul peut le faire. Enseigner, c’est donner à cet apprenant des occasions d’apprendre. Apprendre à son tour est multifactoriel : on apprend en écoutant (oui aussi), en expérimentant, en s’exerçant, en échangeant avec d’autres, en cherchant du sens … oui, tout cela à la fois.
La classe inversée : une systémique en mille morceaux
Marcel Lebrun articule la classe inversée et le cycle de Kolb […]. On est donc dans la fameuse pédagogie inductive qui repose sur une épistémologie empiriste et pragmatiste. Cette démarche inductive est explicitement revendiquée par d’autres défenseurs de la pédagogie inversée qui affirment vouloir développer une « approche inductive suscitant les essais et les erreurs dans une perspective de régulation continue par et avec les étudiants et l’enseignant » (Nizet et Mayer, 2016 p.4). Tout serait pour le mieux dans la doxa pédagogique si les mêmes auteurs n’affirmaient pas que la pédagogie inversée permet « une exposition préalable systématique et explicite aux connaissances théoriques » (Nizet et Meyer, 2016, p.5). Le lecteur de bonne volonté est plongé dans la perplexité.
Selon moi, il s’agit là d’une mauvaise ou très partielle interprétation du cycle de Kolb. Ce cycle comme son nom l’indique, repose sur une alternance entre phases de contextualisation (partir des expériences concrètes, des vécus … pour mieux donner du sens – c’est mon Type 2) afin de préparer la phase de décontextualisation (la nécessité de la théorisation, de la modélisation … la classe inversée de Type 1 intervient ici) … Induction et déduction se complètent ainsi.
Nous avions en effet comparé la systémique des Types 1 et 2 (conduisant au concept pluriel des classes inversées) au cycle de Kolb qui doit être considéré dans son ensemble et pas seulement dans ces deux premières phases (1 et 2) qui relèvent en effet de l’induction. Les étapes 3 et 4 sont de nature plus déductive. De manière plus conceptuelle, nous pouvons alors imaginer que les différentes activités (1 à 4) deviennent des « événements d’apprentissage » à organiser au sein de différents scénarios. En voici un donné ici à titre d’exemple (les numéros se réfèrent à ceux de la Figure) :
1 (Type 2, distance) : hors la classe, individuellement ou en groupe, chercher les informations, instruire la thématique, ramener des éléments des contextes visités, les structurer quelque peu, préparer une petite présentation d’une manière originale … Les compétences visées seraient : recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité …
2 (Type 2, présence) : présenter, en classe, les informations et ressources trouvées, identifier les différences et repérer les similitudes avec les propositions des autres élèves ou d’autres groupes, vivre un « conflit » socio-cognitif, expliciter les préconceptions, faire émerger les questions, les hypothèses … Les compétences visées seraient : communication, analyse, réflexivité, modélisation …
3 (Type 1, distance) : hors la classe selon le schéma initial des classes inversées, prendre connaissance des théories, relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée, préparer une synthèse, exercer le fonctionnement du modèle … Les compétences visées seraient : apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser …
4 (Type 1, présence) : en classe à nouveau, consolider les acquis, faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées, préparer le transfert par l’approche d’autres situations … Les compétences visées seraient : comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes …
Les savoirs sont partout, il ne reste qu’à les prendre pour apprendre
De ce fait, la fonction de transmission des savoirs est externalisée : « la partie transmissive de la connaissance peut s’appuyer fortement sur les outils technologiques de production multimédia incluant la captation. La diffusion par le réseau et l’accessibilité aisée aux ressources numériques d’enseignement, via différents terminaux, permettent à l’apprenant d’acquérir les connaissances d’une façon asynchrone et en autonomie. Ainsi la classe est réservée pour échanger et interagir autour des connaissances acquises séparément » (Roussel et alii, 2013, p. 11) […] C’est supposer résolu un problème central : la transformation des savoirs en connaissances ne peut se limiter à la réception d’informations (même en vidéo). Elle suppose des interactions sociales, et notamment le rôle du professeur, qui doit repérer les obstacles aux apprentissages et donner aux élèves les moyens de les franchir […] Toute formation authentique suppose de rompre avec le sens commun, de remettre en cause des représentations jusque-là admises, d’opérer des sauts cognitifs vers des approches et des concepts plus abstraits et dotés d’une plus grande portée heuristique. Bref, c’est ce qui est ardu qui est important et qui permet vraiment de progresser dans les apprentissages et la pensée autonome. Or, les défenseurs de la classe inversée nous disent que quand c’est ardu, on en revient au cours dialogué qui est plus efficace.
Il est question dans les paragraphes suivants de l’accessibilité de plus en plus grande de ressources, d’informations et de savoirs sur la Toile. C’est un fait qu’un simple examen permet de confirmer. Les praticiens des classes inversées, tout en s’appuyant sur des ressources numériques véhicules de savoirs, me semblent convaincus que ce n’est pas là l’essence de la classe inversée. Plutôt, ils souhaitent se consacrer davantage, au-delà de la transmission pure et simple et sans nier son intérêt, à l’appropriation des savoirs par les apprenants, à la transformation de ceux-ci en connaissance. Encore une fois, limiter la pratique de la classe inversée à l’utilisation de vidéos est tout à fait restrictif. Redonner du sens à la présence là est l’objectif. Dans cette vision, proclamer la fin de l’enseignant alors qu’il s’agit de se doter des moyens pour mieux exercer le métier formidable d’accompagnateur d’apprentissage est forcément réducteur.
Dans le cas du Type 2, les élèves sont parfois invités à aller chercher des savoirs « bruts » sur Internet. Comme nous l’avons dit, il s’agit essentiellement de donner du sens (contextualiser) et d’éveiller les questions auxquelles la théorie pourra répondre. Nous enseignons trop souvent des réponses aux questions que les élèves ne se posent pas. Evidemment, les savoirs établis (normalisés, validés …) côtoient les contre-vérités, les opinions fantaisistes, fallacieuses … Selon nous, être capable « de distinguer le vrai du faux » devient une compétence primordiale à laquelle les apprenants doivent être formés très tôt à leur niveau certes. La tendance de croire qu’il suffirait de présenter la vérité pour remplacer leurs conceptions naïves, spontanées (qu’elles soient internes – ce que l’individu s’est construit – ou externes – les informations qu’il reçoit par son exposition aux contextes) est largement mise en question : faire contre ou faire avec, une vieille question des didacticiens.
Apprendre tout seul devant son écran … et les autres ?
On semble considérer aujourd’hui comme allant de soi (et cela concerne la doxa éducative dans son ensemble et pas seulement la classe inversée) qu’il faut individualiser les parcours de formation et personnaliser les apprentissages. Mais est-ce bien certain ? Apprendre est une aventure collective qui repose sur des interactions sociales. L’activité d’un groupe au travail pour apprendre dépend souvent de la construction d’une intelligence collective qui vise précisément à rendre intelligible ce qui ne l’était pas jusque-là. Apprendre suppose de coopérer, de mettre à la disposition de tous ce que l’on a compris et comment on l’a compris, de faire appel au groupe pour parvenir à franchir un obstacle cognitif. Bref l’idéal est de rapprocher la classe d’une situation idéale de parole où l’échange public d’arguments fondés en raison permet de se soumettre à la norme du vrai. Faire de chaque apprenant un individu qui apprend seul, avec parfois l’aide de l’enseignant, est pour le moins discutable et réducteur. C’est pourtant ce que suppose la classe inversée.
De nouveau, une interprétation très basique de la classe inversée, dans laquelle l’élève apprendrait seul devant son écran (ceci étant considéré comme la modalité principale). Comme je l’ai dit, la critique qui se base sur un seul élément d’une chaîne d’activités orchestrées en vue de favoriser l’apprentissage sans en appréhender la systémique, ne peut être que réductrice. Il suffit selon moi d’examiner les témoignages des enseignants qui pratiquent (et qui en échangeant entre eux collaborent et apprennent ensemble) pour comprendre combien le collaboratif est aussi présent à ce niveau.
L’article de nos deux collègues continue par la critique (toujours intéressante) de différentes capsules vidéos. Nous ne commenterons pas cette partie sauf à dire deux choses maintes fois répétées ici :
- La classe inversée ne peut se réduire à l’utilisation de capsules vidéos. Néanmoins celles-ci, comme les autres productions à portée éducative, doivent correspondre à des critères de qualité de forme et de fonds
- Je ne puis juger de la pertinence d’une production vidéo (de qualité donc) à portée éducative que si je sais comment cette dernière est utilisée dans le dispositif dans son entier et comment les élèves sont informés des tenants (l’explicitation des objectifs) et des aboutissants (la ou les productions effectives et attendues au delà du « regarder la vidéo »)
- Ce dispositif étant alors connu, je dois pouvoir juger de la cohérence interne (entre les objectifs, les méthodes, les évaluations) et externe (dans le programme, par rapport aux référentiels …).
Pour continuer le débat et prendre connaissance des arguments des uns et des autres, n’hésitez pas à commenter ici ou sur les réseaux sociaux.
Quelles sont les tendances actuelles dans lesquelles se nichent les formes de l’enseignement supérieur en ce début de troisième millénaire ? Quelles compétences pour les dirigeants et les enseignants pour à la fois contribuer à l’émergence de l’innovation et participer à son instauration dans les structures ? Une littérature autour du thème 21st century universities se développe tantôt visionnaire tantôt éclairée pour tenter d’en définir les contours. A l’occasion de ces 20 ans d’existence, notre institut (précédemment, IPM, Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédiasa et dorénavant LLL, Louvain Learning Lab) a mis en place une formule originale pour préparer dès à présent les 20 ans à venir : Imaginer l’université en 2035. Basée sur les principes de l’innovation ouverte, à mi-chemin entre un hackathon et un thinktank, l’activité Hack’Apprendre est conçue comme un laboratoire, un espace où explorer le futur de la pédagogie pour susciter l’inspiration et encourager l’action. C’est ainsi que pendant toute une journée (préparée au préalable et collectivement par un large recueil d’idées dans lequel les participants étaient invités à piocher ou « hacker ») environ 80 participants (responsables, administratifs, enseignants et étudiants … entrepreneurs) travaillant en 8 groupes tutorés ont problématisé la thématique (à l’aide de différentes techniques de créativité : Creative Problem solving (CPS), PPCo (Pluses, Potentials, Concerns), Concept Box, Design Thinking … ) avant d’émettre leurs solutions. Le scénario constitué de différents temps de divergence et de convergence était fortement marque par le CQFD (ne pas Critiquer, favoriser l’émergence du Quantité d’idées, idées Farfelues bienvenues et Développement d’idées communes) propre au brainstorming. La journée s’est clôturée par une présentation brève des « projets » de chaque groupe par un pitch de 180 secondes et la remise de coups de cœur par des acteurs de l’innovation résolus à continuer l’accompagnement de certaines propositions.
8 groupes au travail
Nous présentons graphiquement ci-dessous les résultats des travaux de ces 8 groupes (Responsables, administratifs, enseignants et étudiants … entrepreneurs, qui ont travaillé de manière indépendante mais en profitant de Hackers) en les résumant déjà ici synthétiquement :
L’université n’est plus seulement un lieu de transmission de savoir, c’est un lieu où se tissent des liens forts entre les individus, un lieu ouvert sur la société où l’on accueille des projets impliquant les citoyens, les entreprises…
L’université propose des parcours à la carte, en décloisonnant les disciplines. Tout individu (quelque soit son âge et son parcours de vie) peut venir y chercher une formation courte ou plus longue correspondant à son besoin : “la bonne formation au bon moment”, et ceci tout au long de la vie. Les périodes de vie ne sont plus autant cloisonnées mais c’est bien une imbrication entre vie, travail, études qui est à l’œuvre.
L’université est un lieu où l’on vient trouver du sens, construire du sens, trouver son projet et construire son projet avec les autres.
Voici, en résumé, les idées émises par les 8 groupes (numérotés comme sur la figure de 1 à 8) :
Groupe 1 : En 2035, plusieurs métiers d’aujourd’hui n’existent plus. Pour s’adapter aux besoins en évolution permanente, l’Université estmodulaire, les modules sont courts et ciblés … de l’emboîtement de ces modules naissent des parcours individualisés … L’étudiant de 8 à 108 ans construit son parcours.
Groupe 2 : En 2035, l’université fait confianceet applique la présomption de compétences. Une bonne nouvelle : une formation basée sur des projets individuels … avec des équipes pluridisciplinaires dans une université qui suit 3 grands principes : partir des expériences de chacun-e pour co-construire des connaissances, des équipes d’étudiants d’âges et d’expériences différents, des étudiants acteurs, producteurs, auteurs … plus de certificats, de diplômes mais la reconnaissance par les pairs …
Groupe 3 : L’université en 2035 contribuera à l’émergence de nouveaux jobs et à mieux répondre à la question déjà actuelle « vous avez terminé votre parcours à l’UCL en 2035 ? Qu’est-ce que cela vous apporté qui serait utile dans mon entreprise ? » (1) Travailler ensemble, être créatif, créer et fonctionner en réseau, se développer en y trouvant du plaisir, (2) Se sentir utile au service de la Société en lien avec les défis écologiques, climatiques, démographiques … c’est multidisciplinaire, ces sujets-là !
Groupe 4 : La société évolue vite … même plus vite que la technologie. L’université en 2035 sera systémique. Elle forme des étudiants « réactifs » capables de s’adapter à cette société et « proactifs » pour la faire évoluer, et ceci de manière continue et … circulaire.
Groupe 5 : L’université en 2035 sera plus fluide, poreuse. Notre personnage, Céleste, donne cette image d’un clair de Lune, elle rayonne à la fois par ses apprentissages et ses envies d’apprendre … C’est une adulte avec une longue expérience professionnelle qui souhaiterait retourner à l’Université, un homme ou une femme, une personne âgée … elle vient en questionnement . Mais comment les étudiants universitaires vont aider, accompagner Céleste dans ses apprentissages … et profiter de ses questions perpétuelles ?
Groupe 6 : L’université a plus de 600 ans, va-t-elle encore vivre 20 ans ? L’université en 2035 est une « intersité » (ou encore une inter-cité), un lieu de création, de transmission des savoirs arcbouté sur la recherche au service du public ! Mais tout le monde n’y est pas, ne rate-t-on pas quelque chose ? Une certaine exclusion, certains mots ne sont pas assez riches pour exprimer tout cela ! L’université en 2035 sera davantage ouverte, tournée vers le vécu des humains bien au-delà « des sciences humaines ».
Groupe 7 : L’université en 2035 accompagnera les projets des individus. Pour ce faire, elle propose une cartographie de ses enseignements en proposant des liens entre les savoirs et aussi entre les savoirs, les expériences, les projets … Le personnage s’appelle Dominique … il ou elle arrête l’école en quatrième secondaire, n’a pas de diplôme, bosse depuis 20 ans comme maraicher … pas beaucoup d’argent, peut pas quitter son boulot … pourtant son projet à elle c’est la permaculture ! Il n’est pas évident (pas de diplôme, pas de temps …) que l’Université puisse l’aider ! Mais un jour, elle fait une rencontre … avec une accompagnatrice à l’Université (sur le réseau social Magellan) : la cartographie devient ainsi un programme à la carte !
Groupe 8 : En 2035, L’université sera confrontée à une grande hétérogénéité des étudiants (parcours, origine …). Les étudiants seront « pluri » … des parcours professionnels parfois riches souvent chaotiques. Le groupe constate une inadéquation des formations avec les besoins de la société telle qu’elle se construit déjà maintenant. Les formations auront-elles encore du sens, correspondront-elles encore avec les valeurs … des mondes professionnel, associatif, culturel … Les métiers deviennent composites, on assiste à un décloisonnement de la société, à de nouvelles formes d’hybridation aussi perceptibles à l’université par le mouvement rapide des savoirs, des connaissances et des techniques … tous en interaction.
Référence
Cette activité a été l’objet d’une communication dans le cadre du 29ème Congrès International de l’AIPU (Association Internationale de Pédagogie Universitaire). Celui-ci s’est déroulé du lundi 6 au jeudi 9 juin 2016 à l’Université de Lausanne (UNIL).
Lebrun, M. et al. (2016). Hack’apprendre, l’Université en 2035 : comment la préparer ensemble dès aujourd’hui ? Congrès de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire. Lausanne, Juin 2016.
Remerciements
Nous remercions les participants et tous les membres du Louvain Learning Lab qui ont mis en place cette activité avec en particulier Ella Hamonic, Nathalie Kruyts, Julie Lecoq, Véronique Bosschaert, Coralie Delhaye, Françoise Docq, Nathalie Catinus, Léticia Warnier et notre président, Benoît Raucent.
Lors de conférences récentes, j’ai utilisé différents titres évoquant « la mise à l’endroit de l’école ». De quoi s’agit-il au-delà d’un intitulé qui se voulait interpellant voire légèrement provoquant ? On peut en juger par les titres de ces conférences :
– En avril 2015, à l’invitation du SU2IP (Service Universitaire d’Ingénierie et d’Innovation Pédagogique) de l’Université de Lorraine, j’utilisais l’intitulé : Les classes inversées : enseigner à l’envers, apprendre à l’endroit ou l’inverse ? Un peu d’humour bien évidemment mais aussi un retour aux fondamentaux concernant l’apprentissage, un concept selon moi applicable aux étudiants, au développement professionnel des enseignants et aussi aux institutions en quête d’innovations pédagogiques, de formation et structurelles.
– En janvier 2016, lors des activités CLISE 2016 (Classes Inversées, la Semaine), je proposais lors du séminaire académique qui s’est déroulé à l’Atelier Canopé du Val-de-Marne le vendredi 29 janvier 2016, un titre « Classes inversées : Quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Comment ? Enseigner et apprendre à l’endroit« . Au travers de considérations relatives à l’alignement pédagogique des objectifs (les compétences), des méthodes (les méthodes pédagogiques dites actives) et des différentes formes d’évaluation (dont l’évaluation par les pairs) sans compter le tsunami du numérique, je tentais d’explorer davantage et de poursuivre mes réflexions sur l’école à l’endroit.
– Un peu plus tard en mars 2016, lors des JIPN (Journées Innovations Pédagogiques Normandes) qui se sont tenues à Caen le 29 mars 2016, je creusais le sens des apprentissages dans une société numérique avec le titre : L’école dans une société numérique ! Et si on parlait d’apprentissage ? L’accent était mis sur les renversements nécessaires entre la posture du maître sur l’estrade (J’enseigne) et celle orientée vers la mise à disposition de l’apprenant d’environnements dans lesquels ce dernier pourra (pourrait) apprendre (apprennent-ils ?).
Entretemps, il y eut le livre, écrit avec ma collègue Julie Lecoq du Louvain Learning Lab « Classes inversées : enseigner et apprendre à l’endroit » aux éditions Canopé
Il est temps ici de préciser quelque peu ce que j’entends par cette « école à l’endroit » en disant de suite qu’il ne s’agit pas pour moi de passer brutalement d’un modèle magistrocentré (disons l’enseignement traditionnel dans son acception « le maître qui sait sur l’estrade » (Sage on the Stage) devant les élèves qui écoutent, mémorisent, comprennent et appliquent) à un autre où l’enseignant devient conseiller, guide, accompagnateur (Guide on the Side) … (disons l’élève ou les élèves qui apprennent dans des environnements préparés par l’enseignant « chef d’orchestre » et en liaison forte avec les contextes dans lesquels se trouve « l’école » et auxquels elle prépare). D’emblée, je dirais que, éloigné des propos extrêmes (rationnalisme et empirisme, former et accompagner, culture et nature …), je tente de les réconcilier dans une systémique féconde … en apprentissages de diverses natures.
Vers une meilleure interaction entre l’école et le société
Dans un précédent billet, j’étendais le concept initial de la classe inversée (les flipped classrooms, Mode 1) : les leçons à la maison (Lectures at Home) via différentes technologies (textes, vidéos, animations … consultés à la maison mais aussi, pourquoi pas, dans des locaux aménagés dans l’école sans la supervision directe de l’enseignant, individuellement ou en groupe) et les devoirs en classe (Homework in Classes) via des exercices, des mises en situations, des problèmes, des projets … La classe devient ainsi davantage (potentiellement) un lieu d’activités et d’interactivités (entre les élèves ou étudiants et entre ceux-ci et l’enseignant, entre les élèves et des contextes d’application …), un lieu favorable aussi à la différenciation. Mêlant présence et distance, enseignement et apprentissage (j’enseigne, apprennent-ils ?), les classes inversées étaient ainsi classées dans la large catégorie des dispositifs hybrides.
Poussant et étendant le concept, je proposais une autre dimension, une autre configuration (Mode 2) pour les classes inversées : les élèves sont amenés à explorer les contenus dans les contextes à la recherche de documentations (sur les sites Internet, sur les Blogs, sur YouTube … où ils vont d’habitude) , d’exploitations dans les environnements qu’ils connaissent (la ville, le village, le commerce du coin, les artisans, les entreprises …) à propos d’une thématique donnée. Il s’agit bien de cas concrets ou encore de présentations ou de conceptions variées d’un concept … le but est d’ancrer et de contextualiser les apprentissages ultérieurs. Ils reviennent en classe avec tout cela, présentent et mènent le débat (en somme ils créent le dispositif pour les autres) et le travail du professeur ou des autres élèves est de faire émerger des questions qui se posent, de faire des hypothèses sur les observations, de modéliser, de rechercher des pistes de solutions théoriques ou empiriques … Répondre à des questions qu’ils se posent plutôt que d’apporter des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas …
Evidemment, présentées ainsi, les classes inversées ouvrent un vieux débat (déjà décrit par Platon dans son allégorie de la caverne) : (1) théorie d’abord et applications ensuite ou alors (2) situations fortement contextualisées d’abord et décontextualisation (théorisation) ensuite … un vieux débat selon moi entre l’agitation conceptuelle et rationnelle du monde des idées permettant de comprendre certains éléments de la réalité perçue (des réalités perçues) et l’approche expérimentale ou empirique dont l’analyse contribuera à la stabilisation voire la genèse de l’image théorique du monde … aussi entre débat entre béhaviorisme (dominer les comportements « naturels ») et constructivisme (construire les schèmes de la pensée rationnelle). Et pourquoi pas une systémique entre les deux approches comme proposées dans le cycle Kolb (voir le billet cité plus haut ou celui-ci) ? Au travail les philosophes !
Dans la partie haute, la figure ci-dessus illustre les deux modes proposés ci-dessus (je préfère actuellement les mots « mode » ou « configuration » au lieu du mot « niveau » qui suggère une gradation voire une hiérarchie, ce qui serait contraire à la systémique proposée) et les différents rapports aux savoirs et aux rôles tenus par les enseignants et les étudiants. Dans sa partie basse, je trace l’analogie avec le cycle de Kolb (experiential learning). A remarquer aussi que le cycle de Kolb implique la présence ou mieux la conjonction de différents styles d’apprentissage (convergent, divergent …).
L’école à l’envers ? L’apprentissage à l’endroit !
Dans la vie quotidienne, dans la vie professionnelle, nous rencontrons des problèmes (ça ne va pas ? mais de quoi s’agit-il ? pourquoi mon collègue a-t-il dit cela ? …) ou participons à des projets (on devrait mettre en place, il faudrait travailler là-dessus …) et nous allons ensuite chercher les (ou des) savoirs empiriques ou théoriques (sur des sites universitaire ou des Blogs de praticiens … ) pour tenter de les résoudre (problèmes) ou de les mener à bien (projets). Que ce soit par nécessité, par curiosité, par envie, le comportement serait alors (relisant le cycle de Kolb) : (1) faire l’expérience de …, (2) émettre des pistes de solution, des hypothèses …, (3) rechercher des cas analogues ou des procédures pour comprendre, résoudre …, (4) expérimenter la pertinence des solutions trouvées, de la démarche construite, le transfert vers d’autres cas ou contextes … Mais alors, pourquoi à l’école (encore toujours ou de moins en moins peut-être) commence-t-on par la théorie, le modèle, les solutions, le cours pour amener ensuite les exercices, les problèmes, les TP ou TD … S’agit-il de vérifier (montrer la véracité de) la théorie seulement ou alors de proposer des occasions de la construire, de la mettre à mal, d’en montrer les limites … de la falsifier ? L’école serait-elle dans ce cas à l’envers par rapport aux usages, aux pratiques de la société dans laquelle elle s’inscrit et à laquelle elle prépare ?
Si on accepte, un temps du moins, la caricature ainsi dessinée, on peut admettre que les classes inversées dans leur mode 2 enchaîné avec le mode 1 en postulant un cycle de contextualisation, décontextualisaton, recontextualisation remettent en fait la classe à l’endroit par rapport à la société et à ses pratiques … Ce que j’ai tenté de démontrer. Il s’agit aussi de mieux construire nos dispositifs pédagogiques en fonction de ce que nous savons des théories de l’apprentissage … c’est une autre histoire. Apprenons-nous en écoutant, en lisant les grands livres du savoir … ou alors en faisant, en agissant ? Les deux certainement ! L’un plus que l’autre ? Expérimentons !
Ceci ne sera pas un billet de Blog ordinaire. Généralement, je propose ici quelques réflexions sur des problématiques liées aux TICe que je soumets à la critique des collègues qui travaillent dans ce domaine ou même des personnes simplement intéressées par le sujet. Aujourd’hui, je vous livre ici un parcours pédagogique sur la thématique des classes inversées : il s’agit ici d’une page « html » que je livre à mes étudiant-e-s avec la mission d’en prendre connaissance où ils le souhaitent (à la maison ou dans un créneau horaire disponible dans leur programme à l’université ou dans un café de Louvain-la-Neuve …) et comme ils le veulent (en individuel ou en groupe …). Je leur demande de poster « à temps » leurs avis, opinions commentaires voire leurs questions à la fois sur le contenu même de ces ressources et sur leurs perçus de cette forme d’enseignement … Oui, la classe inversée, cela peut être autre chose qu’une vidéo YouTube à voir à la maison pour un débat en classe. Il me revient alors de traiter ces apports des étudiant-e-s pour préparer notre moment de rencontre et de construction de connaissances partagées. Un forum, ça ne marche pas … si l’enseignant ne l’utilise pas.
Le parcours que je leur propose est polémique … il contient des ressources parfois un peu prosélytes composées avec mon comparse, Christophe Batier de l’Université Claude Bernard, Lyon I, mais aussi des propos argumentés repérés sur des Blogs … et parfois critiques sur certains concepts des classes inversées, sur une « certaine façon de voir » les classes inversées. Ces propos stimulent notre créativité, ils sont impératifs et je remercie, ceux que j’appelle affectueusement les grognons, de ces apports salutaires.
Un billet de Blog, un parcours pour une classe inversée sur les classes inversées
Voici donc ce parcours, un voyage aussi dans le temps entre grosso modo 2012 et aujourd’hui … les technologies nous font avancer rapidement :
Préalablement à notre prochain cours en présentiel, merci de prendre connaissance des documents mis à votre disposition ci-dessous. Aussi de déposer vos commentaires, opinons, questions … dans le forum adhoc afin que je puisse préparer ce cours. Vos apports sont attendus quelques jours avant notre prochaine rencontre. Ils porteront à la fois sur le contenu de ces ressources mais aussi sur vos perceptions de cette forme d’enseignement. L’objectif est de lancer le débat et de me permettre de répondre à vos questions.
I. Classe inversée : le concept de base … et son extension
DOC 1 2012 | Causerie avec Marcel Lebrun : Flippons nos cours - Christophe Batier @batier AIPU2012 (Spiral TV)
DOC 2 2014-2015 | Classes Inversées, étendons et « systémisons » le concept ! Essai de modélisation et de systémisation du concept de Classes inversées
Que ce soit dans la vie quotidienne, dans nos occupations socio-professionnelles, dans nos loisirs et, de manière concomitante, dans le domaine de l’éducation à différents niveaux (« l’école » de l’enseignement primaire au supérieur, un lieu d’apprentissage toute la vie durant), le numérique fait couler beaucoup d’encre (de stylos ou d’imprimerie ?). D’aucuns lisent dans cet essor en accélération rapide voire exponentielle (quelques milliers d’années pour l’écriture, quelques centaines pour l’imprimerie, quelques dizaines pour le numérique), une forme d’aliénation « de l’humain » par la machine ou encore de dissolution de notre identité dans le réseau voire un appauvrissement sans précédent des interactions édificatrices de notre société. D’autres, en constatant ce « Tsunami numérique » (Davidenkoff, 2014) ou cette « Transition fulgurante » (Giorgini, 2014), prédisent l’avènement d’un nouveau monde (une nouvelle Renaissance) et, puisqu’elle y est incluse et qu’elle y prépare, d’une nouvelle « école » aux vertus émancipatrices. Considérant qu’en ce domaine l’aliénation et l’émancipation sont deux solutions de cette problématique pharmacologique (selon Bernard Stiegler, le pharmakon de Socrate reste d’application pour le numérique comme il l’a été pour l’écriture et l’imprimerie en considérant ces révolutions, toutes et à la fois comme un remède et comme un poison), nous souhaitons questionner cette effervescence voire cet « imaginaire » afin d’en dégager les phénomènes précurseurs de la Société de demain et de son école … déjà et dorénavant numérique.
Mais tout d’abord, qu’est-ce que c’est « le numérique » ? Etymologiquement, la numérisation transforme en données numériques (des nombres, des séries de nombres) un objet continu, analogique : on parlera ainsi d’image numérique, de son numérique. Ce processus de réduction (ces nombres étant in fine traduits dans un système binaire, les bits) permet par recombinaison ou superposition de redonner une « image » de la réalité entendue, observée, vécue … cela dépendant bien entendu de la qualité de la numérisation, sa finesse, sa résolution.
L’évolution du World Wide Web … tous auteurs, acteurs ?
Le pas est donc aisément franchi d’associer le numérique à l’informatique comme nous le remarquons bien souvent dans l‘interprétation réductionniste de l’école numérique en école informatisée ou encore de la transformation, tout aussi abusive, d’éducation numérique en formation en informatique. Entre condition nécessaire (l’utilité et la disponibilité des outils technologiques) et condition suffisante (accéder à la société numérique en évitant la fossilisation des pratiques, de refaire comme avant avec le nouveau) … l’amalgame est aisé. L’innovation de maintien a la vie dure par rapport aux innovations de ruptures dont nous parlerons.
Mais cette transformation de la variété en chaines de « 0 et de « 1 » (pour reconstituer ensuite une instance de cette variété) a porté très vite non seulement sur les objets mais également sur leurs liaisons (les fameux hyperliens, ces mots en bleu-souligné sur lesquels vous cliquez en passant ainsi d’une interprétation à l’autre, en passant d’un certain degré de précision à un autre …) donnant ainsi accès à une variété encore plus large de représentations, d’interprétations … C’est ainsi que naissait, au début des années 90, le Web (la toile d’araignée mondiale) d’abord accessible, en mode édition ou production, seulement à ceux qui maîtrisaient les codes et les langages informatiques nécessaires pour publier et interconnecter ce vaste système d’informations (on se souviendra du html et des protocoles de transfert ftp devenus depuis lors transparents pour l’utilisateur) : on y détecte un nombre restreint d’éditorialistes et un grand nombre en augmentation rapide de lecteurs, de spectateurs, de consommateurs ! Dix ans plus tard, utilisabilité et ergonomie aidant, le Web 2.0 allait donner progressivement à ces derniers un rôle de consomm’acteurs. Le fait de pouvoir ou de devoir s’identifier (les fameux « login » et « mot de passe ») sur un site leur permettait de (1) se faire reconnaître par le Web devenu service et recevoir ainsi les informations qui leur étaient destinées (un site commercial se transformera pour vous donner les nouveautés qui vous intéressent en fonction de l’historique de vos visites antérieures), une forme de Web réactif et (2) de recevoir (sans vous rendre sur le site) les alertes ou notifications qui correspondent à certains choix que vous avez marqués au hasard des navigations, une forme de Web proactif. C’est ainsi que nous publions nos avis, nos commentaires, nos coups de cœur (j’aime !), que nous soumettons nos idées sur notre Blog en attendant les commentaires de notre lectorat, que nous établissons une chaîne neuronale toute virtuelle avec la Communauté … que nous apprenons ?
Ce faisant, c’est l’identité même de l’utilisateur qui est numérisée au niveau de ses habitudes, de ses intérêts, de sa communauté (les amis) en voie de virtualisation toujours plus prononcée sur le Web ou « nous reprenons connaissance ». En parallèle ou en contrepartie, ce consommateur, certes de plus en plus exposé à l’hameçonnage (le côté obscur), se retrouve affublé d’une panoplie en extension d’outils lui permettant lui-même (le côté clair) de publier, de recevoir des commentaires, de s’affilier à une communauté qu’il va suivre (ses followings) ou encore d’en créer une, personnelle cette fois-ci, peuplée de ses followers. Le numérique quitte ainsi, sans la nier ou la déprécier, la sphère de la numérisation des objets pour entrer dans celle de la connectivisation des relations entre humains. Serait-ce aussi notre intelligence – étymologiquement, le préfixe inter- (« entre ») et le verbe lĕgĕre (« cueillir, choisir, lire ») – qui s’externalise par une sorte d’assimilation et d’accommodation piagétienne au niveau global ? C’est là, au delà de la médiatisation des ressources, dans la médiation numérique des interactions, que se niche « le numérique ». Vous l’avez compris, entre aliénation et émancipation, le chemin est étroit. Une question d’école et d’éducation (e-ducere, conduire au dehors) sans doute qui dépasse allègrement les utilisations (fonctionnelles) voire même les usages de l’outil en lui-même. Pourquoi dès lors ramener la question du numérique à celle des équipements … c’est une condition nécessaire certes mais le risque d’enlisement est grand. Apprendre, c’est aussi mettre de l’ordre dans le désordre, les curateurs du Web comprendront (voir en bas de ce billet quelques prolongations de ce paragraphe).
Ainsi le numérique bouleverse non seulement notre rapport aux savoirs (désormais transmis), nos rôles … mais aussi nos façons de réagir, d’agir et d’interagir. « L’ubérisation » se propage au travers de l’horizontalisation des pratiques. Il y a quelques années, nous recourions à « l’expert » pour prendre nos vacances (Le guide Michelin versus TripAdvisor), pour nous soigner (Le médecin généraliste versus Doctissimo), pour apprendre (Le professeur versus les MOOCs ou la Khan Academy) … le collectif, la validation par le collectif remplacera-t-il « l’expert » ? Les classes inversées ne proviennent pas d’une nouvelle théorie pédagogique en vogue, elles sont l’émanation de pratiques, d’analyse de pratiques, de partage de pratiques … en dehors de tout décret. Je ne veux être considéré comme un des apôtres d’une nouvelle société en construction. Je m’interroge sur comment nous, les humains, allons profiter de ces espaces de liberté, de décision, de partage et d’expérimentation que nous offrent les technologies. Les technologies nous condamnent à devenir intelligents (Michel Serres, 2007). Quel sens redonner à la présence ?
Comme l’explique Joël de Rosnay « Voyage vers le futur, mon entreprise en 2030« , Alibaba est considéré comme le plus grand magasin du monde et il n’a pas de stocks. Uber, la société de taxis ne possède pas de véhicules. Booking.com est une chaîne hôtelière qui ne possèdent pas d’hôtels. Ils minimisent ainsi les coûts inhérents à ces entreprises (stocks, véhicules, bâtiments) les faisant supporter par d’autres et en jouant le rôle d’une sorte de courroie de transmission horizontale – sans intermédiaires – entre les utilisateurs, les consommateurs, les producteurs, nous ! Et l’entreprise-université ou l’entreprise-école du futur ? Considérant que les savoirs sont transmis (bien souvent en Open et en ligne, les OER ou Open Educational Resources), considérant qu’une large part des interactions peut aussi être externalisée, combien de temps faudra-t-il pour « ubériser » ou « googleliser » l’éducation ? A quand la MOUC, la Massive Open University in the Cloud ? Si nous allons tous apprendre toute la vie durant, qui seront nos enseignants ? Des structures pourraient alors émerger pour offrir ou vendre le tutorat et l’accompagnement. Et l’évaluation … badges, portfolios vous avez dit ? Une façon de répondre à la demande de formations à la carte des futurs apprenants toute la vie durant, non ? Le salut ? Encore une fois, redonner du sens à la présence ! Telle est ma quête face aux opérations que préparent déjà les membres du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) …
Outillage, instrumentation … médiation aussi ?
En résumé : De tout temps, les Hommes ont inventé des outils pour faciliter leurs labeurs, se libérer des tâches répétitives … et des instruments pour mieux discerner les événements, la réalité. Le numérique y participe en créant ainsi de nouveaux espaces de liberté. Tout d’abord, même si l’adjectif « numérique » accompagne de plus en plus souvent les nominatifs Société, École, Humanités … ses attributs ou ses valences (la valeur que nous lui attribuons) sont loin d’être clairs. S’agit-il de la numérisation des médias (le texte, l’image, le son … le MOOC se réduisant en une succession de symboles binaires pour se diffuser plus aisément), d’outils informatiques augmentant notre emprise sur le réel, ses manifestations et sa symbolique ou encore d’instruments technologiques (Rabardel & Samurçay, 2001) contribuant à notre intelligence en démultipliant le champ des interconnections possibles ? Depuis la nuit des temps, les outils, les technologies nous libèrent mais pour quoi faire ? (Michel Serres, 2012). S’agit-il tant d’outils, de techniques et de technologies que d’attitudes, de comportements, de mentalités ?
On le comprendra : les techniques tout à la fois contribuent à notre développement en tant qu’espèce et nécessitent de nouvelles règles, des balisages pour ces espaces de liberté dont nous avons parlé, un nouvel « ordre social ». Comment, dans ce « changement de phase » au niveau sociétal, dans cette préoccupation toute systémique allons-nous parvenir à générer de « l’ordre dans le désordre » ?
Tendances et constatations du connectivisme
Il nous faut donc maintenant essayer de qualifier ce numérique en tentant, par une définition en extension, de discerner certains de ses attributs constitutifs les plus déterminants pour ensuite seulement pouvoir décrire et discuter l’école de demain. C’est ainsi que nous proposons au débat certains « shifts » ou transformations déjà en cours dans notre société connectée (Siemens, 2005) ; nous les relierons avec les tendances et constatations proposées par Siemens :
- Des savoirs diffusés dans des « cercles fermés » (par les livres, dans les classes ou amphis …) à des savoirs ouverts et diffusés à l’échelle planétaire, connectés entre eux et en perpétuelle re-construction collective …
De nombreux apprenants vont rencontrer des domaines de connaissances et de compétences variés et parfois sans liaison (entre elles et avec leurs études) au cours de leur carrière
- Des modes de communication, d’échanges ou de transactions verticaux (top-down ou parfois bottom up) à des communications, des échanges ou des transactions davantage horizontales en mode réseau ouvert (parfois dénommé du terme ubérisation marquant ainsi des modes interconnectés et décentralisés qui échappent aux structures pyramidales actuelles et en profitent)
L’apprentissage informel devient de plus en plus une partie de l’expérience d’apprentissage
- D’une « informatique » fonctionnelle (comment utiliser tels ou tels logiciels de type « usine à gaz » …) à une « informatique » relationnelle orientée usages spécifiques eux-mêmes orientés utilisateurs (simplicité, versatilité, utilisabilité, accès direct …)
Les technologies sont en train de changer fondamentalement nos façons de penser. Elles modifient notre «cablage cérébral». Pas mal de processussont actuellement de plus en plus et de mieux en mieux assumés par les TIC
- D’espaces et de temps (de formation, d’activités socio-professionnelles …) fortement localisés à une abolition des limites propres aux espaces-temps physiques par le biais des technologies ubiquitaires ou synchrones …
L’apprentissage devient un processus commun aux apprenants, aux acteurs de la société et aux institutions (l’entreprise apprenante)
- Des temps de l’apprendre initiaux ou continus fortement inscrits au début de la vie des individus à un apprentissage toute la vie durant
L’apprentissage est un processus continu qui se déroule tout au long de la vie
- D’un cloisonnement disciplinaire à une nécessité de pluri ou d’interdisciplinarité entrainée par la complexité des problèmes rencontrés et des compétences nécessaires pour les résoudre … aussi d’un décloissonement entre théorie et pratique, ces dernières s’enrichissant l’une l’autre en perspective systémique
Le Savoir et le savoir-faire (les connaissances déclaratives et procédurales) sont en train d’être supplantés par le « savoir où et quand », les connaissances conditionnelles (que se passera-t-il si … ?)
La figure ci-dessous essaie d’illustrer ces changements que vont encourir les « citadelles des savoirs ».
« L’école » en 2026
C’est à partir de ces constats et tendances sociétales encore embryonnaires mais déjà bien ancrés dans nos habitudes, que nous dresserons les grandes orientations de l’école de demain, de la formation 2.0 des étudiants et des enseignants, des rapports aux savoirs et aux rôles et de l’apprentissage numérique pour une véritable intelligence collective. Voici quelques unes de ces orientations proposées lors d’une conférence en 2014 à la HES-SO (Haute école spécialisée de Suisse occidentale) pour ses dix ans (j’ai un peu adapté pour 2026 !) :
Alors, le numérique, dans la société ou l’école, le côté clair ou le côté obscur, un remède ou un poison, Prométhée ou bouc émissaire, dieu Thot inventeur jubilatoire de l’écriture ou pamphlétaire luciférien, je ne sais pas. L’un ou l’autre ? Sans doute les deux à la fois. A chaque fois, l’image de l’expérience optique des fentes du physicien Young me revient. Dans une compréhension déterministe, la particule de lumière passera-t-elle par la fente A ou la fente B ? En tant que onde, la lumière passe par les deux fentes à la fois apportant alors la variété et la richesse de la figure de diffraction pleine d’interférences constructives ou … destructives. Il faut le savoir, mais que ceci ne nous empêche pas d’avancer, d’expérimenter, de partager ! Une réponse à la polarisation du pharmakon, entre le remède et le poison, faut-il choisir ?
Comme à la Renaissance du XVème siècle, au cours de laquelle l’Homme s’est débarrassé du cortège de divinités de toutes sortes qui influençaient ses bonheurs et ses malheurs et déterminaient les phénomènes naturels pour les comprendre par la science naissante (héritée de l’antiquité), nous assistons probablement à l’instauration d’une nouvelle Humanité, d’une autre Renaissance, ou mieux à un parachèvement de l’idéal démocratique. L’enjeu est d’importance et dans le sens que nous avons décrit l’école sera « numérique ». C’est vrai que l’idéal démocratique et la science des anciens grecs, transportés par les arabes et les juifs, ont resurgi lors de la première Renaissance avec une contribution forte d’une invention technologique, le livre. A l’heure actuelle, le numérique rend possible d’autres pédagogies pour les humains connectés même si les ingrédients de ces pédagogies étaient déjà déclarés ou annoncés il y a longtemps déjà. Ainsi, la renaissance numérique a ce potentiel de ravigoter ces idéaux démocratiques (au sens premier, au sens fort) dans une connaissance de mieux en mieux ou de plus en plus partagée. Ne remettons donc pas « le numérique » sur le socle des divinités anciennes en mettant en avant leurs caractéristiques « magiques ». L’humanité numérique, c’est nous !
Et vous, les numériques … surtout, commentez, déconstruisez, reconstruisez …
On y trouvera aussi un essai sur le rapport entre le Tsunami des MOOCs et les « renversements » proposés par les Classes inversées .
Dans ce nouvel essai, j’essaierai de répondre à celles et ceux qui nous disent régulièrement « Mais, les classes inversées, ça existe depuis longtemps … ». Ma réponse est : Oui, sans aucun doute. Comme je le raconte, j’ai eu en 1972 lors de ma première année à l’université, un enseignant qui nous faisait lire un chapitre de son livre avant le cours pour disposer de ce temps de présence pour répondre à des questions, donner des exemples, proposer des applications … Bref, nous en avons eu des enseignants qui nous demandaient de lire un texte, un chapitre, actuellement de regarder une vidéo … avant le cours. Est-ce bien cela une innovation ? Tout d’abord pour qu’une telle initiative pionnière soit qualifiée d’innovation, il faut encore qu’elle percole dans l’ensemble du système, qu’elle entre dans les habitudes, qu’elle dépasse le stade d’une « enclave » pour devenir une « tête de pont » voire une pratique ancrée (voir l’article de Bernadette Charlier, Nathalie Deschryver et Daniel Peraya (2006) en particulier la page 481).
Mais, est-ce bien cela, n’est-ce que cela, une Classe inversée … prendre connaissance (le mot est intéressant) de la matière avant « le cours » et faire des applications ensuite ! Quoi de différent avec l’enseignement traditionnel, la théorie d’abord, les exercices ensuite ?
Dans la première phrase de ce billet, j’ai mis volontairement le mot « méthodes » entre guillemets pour signifier que l’approche des Classes inversées est surtout un changement de paradigme, de mentalités dans les rapports que nous construisons avec les termes « Savoirs », « Apprendre » et « Enseigner ». Le concept porte donc une grande variété de pratiques, de méthodes et de techniques à la fois relationnelles et techniques.
Cependant, il nous faut bien constater que les Classes inversées sont souvent associées à la ritournelle « Lectures at home and Homework in classes », une vidéo ou un texte à lire avant le cours et des activités, des débats, des applications en classe … C’est selon moi, le tout premier niveau de ce qu’on peut faire en Classes inversées. Dans ce billet, nous allons essayer d’aller plus loin.
1. Le Niveau 1 des Classes inversées
Le concept, ou en tout cas l’appellation de Flipped Classrooms, est apparu il y a quelques années seulement quand deux enseignants en chimie dans l’équivalent de notre niveau secondaire, Jonathan Bergmann et Aaron Sams (2007), ont découvert le potentiel de vidéos (PowerPoint commentés, Screencast, Podcast …) pour motiver leurs élèves à préparer (à domicile ou plutôt hors classe ou encore sans la présence de l’enseignant) les activités qui seront proposées en classe, en présence de « l’enseignant », afin de rendre ces dernières plus interactives : Lectures at Home and HomeWork in Class, le slogan était lancé. L’air de rien, comme nous le verrons, cette méthode est à la fois une petite révolution par rapport à l’enseignement dit traditionnel (le magistral, l’enseignement ex cathedra) et une piste d’évolution acceptable et progressive pour les enseignants qui souhaitent se diriger, sans négliger la transmission des savoirs, vers une formation davantage centrée sur l’apprenant, ses connaissances et ses compétences.
Les classes inversées (un bel exemple de dispositif hybride) présentent un engouement certain de la part des enseignants de l’école primaire à la formation continue. En fait, à l’état potentiel, cette stratégie pédagogique est au confluent de trois courants dont nous avons tenté de montrer les rapports systémiques : (1) Les approches par compétences ou par programmes (cohérence des enseignements), (2) Les méthodes actives et aussi finalement (3) un usage « à valeur ajoutée » des TIC.
Comme nous le voyons déjà, ces classes inversées repositionnent les espaces-temps traditionnels de l’enseigner-apprendre (la figure ci-dessous nous montre le « flip » à l’œuvre).
(1) L’enseignement traditionnel transmissif se passe en classe ; les interactions et les activités des élèves y sont bien souvent limitées. Les devoirs se passent à la maison ainsi que la préparation des examens.
(2) Le « flip » va agir en reconsidérant les espaces-temps de l’enseigner-apprendre. Il s’agira de mieux occuper l’espace et le temps, d’accompagner une partie de l’apprentissage (mémorisation, compréhension …) hors de la classe et de rendre à cette dernière sa vocation liée à la rencontre, au caractère social de l’apprentissage.
(3) La figure se complète : la partie transmissive (les nécessaires savoirs, les principes, les théories…) se déroule en dehors de la classe soit à la maison soit dans des lieux spécialement aménagés dans l’école ; l’espace et le temps de la classe proprement dite (de la rencontre avec l’enseignant) sont utilisés pour les activités et les interactivités.
(4) L’hybridation (soutenue par le principe de variété dans les approches pédagogiques) mélange ces différents modes d’interaction. Les Flipped Classrooms ne sont pas présentées ici comme un mode unique de formation : tout au plus comme une alternative à d’autres méthodes, une configuration particulière ou encore à une stratégie agile composite.
Autour de ce concept de Flipped Classrooms, les variations sont aussi infinies et nous vous en proposons une définition de base, une définition construite avec un de nos mémorants, Antoine Defise (2014) :
Une « flipped classroom » ou « classe inversée » est une méthode (une stratégie) pédagogique où la partie transmissive de l’enseignement (exposé, consignes, protocole,…) se fait « à distance » en préalable à une séance en présence, notamment à l’aide des technologies (ex. : vidéo en ligne du cours, lecture de documents papier, préparation d’exercice,…) et où l’apprentissage basé sur les activités et les interactions se fait « en présence » (ex. : échanges entre l’enseignant et les étudiants et entre pairs, projet de groupe, activité de laboratoire, séminaire,…).
2. Le Niveau 2 des Classes inversées
Comprenons-nous bien. Le « Niveau 1″ constitue déjà une belle avancée pédagogique permettant de « redonner du sens à la présence » en mettant en place potentiellement dans le lieu et le temps de la formation des pédagogies actives davantage orientées développement de compétences, davantage orientées vers le devenir social et professionnel des élèves, des étudiants. Mais, on peut aussi dire qu’encore une fois la théorie précède la pratique, le cours précède les travaux pratiques … quoi d’autre si ce n’est un shift, un glissement spatio-temporel de ces différentes activités (on pourrait dire, une classe translatée) … la théorie avant la classe, la pratique pendant la classe. Pourtant en terme de glissement, nous avions présenté les shits potentiellement possibles induits par les Classes inversées :
1) Mieux utiliser les espaces (mobilité, présence-distance) et les temps (flexibilité, synchrone-asynchrone) de l’enseigner et de l’apprendre (flipper l’espace-temps)
2) Proposer une formation plus individualisée et davantage en résonance avec les rythmes, les styles et les activités de chacun (flipper approches globales-analytiques, surface-profondeur)
3) Mieux balancer la nécessaire transmission des savoirs et le développement des savoir-faire et savoir-être, des compétences et de l’apprendre à apprendre
4) Rendre les étudiants davantage actifs et interactifs, plus impliqués (flipper transmission et appropriation)
5) Répondre à des questions que les étudiants se posent plutôt que leur donner des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas (flipper les rôles, flipper les savants et les ignorants)
6) Apprendre aux étudiants à apprendre et à enseigner toute la vie durant (un autre flip de l’enseigner-apprendre)
7) Pour les enseignants, leur permettre une appropriation (un développement professionnel) progressive … nul besoin de tout “flipper” en une fois.
En cohérence et au-delà de l’image un peu réductionniste du « Niveau 1″, nous étendrons quelque peu le concept en proposant aussi des activités et des interactivités (individuelles ou en groupe) avant la classe.
(Temps 1, « avant la classe ») Recherche d’informations, lecture d’un article, d’un chapitre, d’un blog …, préparation d’une thématique à exposer, interviews ou micro-trottoirs, enquête ou observations sur le terrain … à réaliser seul ou en groupe avant une séance en présentiel. Le résultat des investigations peut être déposé dans un dossier sur une plateforme, des avis, opinions, commentaires, questions … peuvent être déposés sur un forum, la vidéo réalisée peut être déposée sur YouTube …
(Temps 2, « pendant la classe ») Présentation de la thématique, débat sur des articles lus, analyse argumentée du travail d’un autre groupe (évaluation par les pairs), création d’une carte conceptuelle commune à partir des avis, opinions, commentaires … récoltés, mini-colloque dans lequel un groupe présente et un autre organise le débat … pendant le moment (l’espace-temps) du présentiel …
Un examen rapide de cette évolution du « Niveau 1″ au « Niveau 2″ montre bien le souci de personnaliser et de contextualiser les apprentissages, de rendre les étudiants plus actifs et interactifs, les étudiants allant chercher les ressources (de manière guidée ou autonome) avant la classe de manière à amener ces dernières, quelque peu structurées, dans l’enceinte de la classe où seront mises en place des stratégies de déconstruction par conflit socio-cognitif (les apports des autres individus ou des autres groupes), un préalable utile pour reconstruire les connaissances individuelles et développer les compétences de communication, d’autonomie et de travail d’équipe, d’esprit critique … Tout est bien ainsi ?
L’approche pèche, potentiellement à nouveau, sur deux aspects : (1) l’approche est résolument divergente, le travail de groupe et sa présentation dégagent les horizons, ouvrent les possibles, permettent l’explicitation des conceptions préalables (parfois nommées spontanées voire naïves) et (2) on peut s’interroger sur les moments de reconstruction, de décontextualisation, de modélisation voire de théorisation … On risque très fort de laisser des étudiants à profil moins synthétique dans un grand désarroi dans leur quête de structure, d’explications, d’invariants, de modèle …
Toujours est-il que ces deux niveaux (j’aurais pu dire deux dimensions tant ces « niveaux » peuvent se combiner) correspondent tous les deux à des évolutions appréciables pour l’enseignement, pour l’enseignant surtout, deux inversions complémentaires :
Niveau 1 : L’enseignant délègue la transmission des savoirs à un média (texte, vidéo) et retrouve ainsi davantage de temps pour être un accompagnateur d’apprentissage de savoirs lors de la présence. L’acquisition de la matière reste une préoccupation fort louable d’ailleurs.
Niveau 2 : L’enseignant, dans un champ de manœuvre défini (par exemple pour une thématique définie, avec des contraintes, des échéances, des critères définis), envoie l’apprenant sur le terrain, dans le contexte, sur la Toile. Il accompagne la construction des connaissances par chaque apprenant et l’aide à identifier les savoirs nécessaires pour aller plus loin.
3. Le Niveau 3 des classes inversées
De l’approche orientée « déduction » du Niveau 1 à l’approche orientée « induction » du Niveau 2, toutes les deux relativement insatisfaisantes au niveau des apprentissages souhaités (Niveau 1 : regarde la théorie avant la classe, tu verras à quoi ça sert pendant la classe, Niveau 2 : va chercher les ressources hors la classe, tu montreras tout cela à la classe). Encore une fois l’hybridation va nous aider : et si on combinait les deux niveaux précédents dans un Niveau 3 plus fécond, plus satisfaisant ? Et si on quittait l’approche déterministe pour aller vers une autre davantage systémique, cyclique ?
✪ Temps 1 (Niveau 2, distance) : instruire le dossier, ramener des éléments du contexte, les structurer quelque peu, les présenter d’une manière originale … (recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité …)
✪ Temps 2 (Niveau 2, présence) : présenter les informations et ressources trouvées, identifier les différences et repérer les similitudes, vivre un « conflit » socio-cognitif, expliciter les préconceptions, faire émerger les questions, les hypothèses … (communication, analyse, réflexivité, modélisation …)
✪ Temps 3 (Niveau 1, distance) : prendre connaissance des théories, relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée, préparer une synthèse, exercer le fonctionnement du modèle … (apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser …)
✪ Temps 4 (Niveau 1, présence) : consolider les acquis, faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées, préparer le transfert par l’approche d’autres situations … (comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes …).
La figure ci-dessus, montrant nos quatre temps, nos quatre « flips », nos quatre événements d’apprentissage est complétée par les « trois phases de l’enseignement stratégique » (Tardif, 1992) adaptées dans un processus de contextualisation-décontextualisation-recontextualisation (Proulx, 1997).
Cette approche hybride … des classes inversées nous paraît être un bon agencement de différentes techniques de formation, de différents courants pédagogiques sans compter le développement des compétences, l’approche par situations-problèmes, l’ouverture vers « un soutien à valeurs ajoutées » apporté par les outils numériques.
Pour terminer cette partie, nous soulignons que cette évolution dans le panorama des classes inversées (nous insistons sur ce pluriel) se déployer sur deux dimensions majeures caractérisées de manière étonnante (dans le contexte du développement professionnel des enseignants) par un « lâcher-prise » des formateurs (instituteurs, enseignants, professeurs …) :
- par rapport aux savoirs qui dépasse la transmission (qui reste nécessaire) vers l’appropriation par les élèves ou étudiants. On passe du « centré sur l’enseignant » au « centré sur les apprenants » dans une optique socio-constructiviste qui repose en partie sur des méthodes actives.
- par rapport aux rôles tenus par les différents intervenants, tous tour à tour, apprenants et enseignants. On passe de postures assez traditionnelles (le traditionnel étant une innovation qui a réussi) de transmission à d’autres relatives à l’accompagnement, au conseil voire à une posture de chef d’orchestre qui scénarise les différentes activités.
Dans la figure ci-dessous, ces deux dimensions (avec chaque fois trois exemples d’évolution possible) sont présentées ; elles sous-tendent un plan dans lequel nous avons fait figurer nos deux modalités de classes inversées (« niveau 1 » et « niveau 2 ») en les rattachant avec diverses configurations possibles : classes translatées, classes inversées, classes renversées (ce dernier terme inspiré ou aspiré de Jean-Charles Cailliez) …
4. Quelques fondements pour le Niveau 3
Le Cycle de Kolb
Le Niveau 3 que nous venons de présenter correspond assez bien à la vision cyclique proposée par Kolb. Le cycle de Kolb (Kolb’s learning cycle) appelé parfois aussi cycle de Lewin (Kolb, 1984) nous paraît intéressant car il présente une démarche d’apprentissage basée sur l’expérience (apprentissage expérientiel – experiential learning) : l’apprenant progresse au travers d’un cycle dans lequel l’expérience conduit à l’observation et à la réflexion (contextualisation) qui à son tour conduit à la formation des concepts (décontextualisation) qui seront ensuite « essayés » dans diverses situations et donnent lieu à de nouvelles expériences (recontextualisation).
On peut établir un parallèle fructueux entre les 4 étapes du cycle de Kolb et les 4 temps que nous avons proposés dans notre approche « Niveau 3″ des classes inversées :
Expérience concrète : Temps 1 (Niveau 2, distance)
Observation réfléchie : Temps 2 (Niveau 2, présence)
Conceptualisation abstraite : Temps 3 (Niveau 1, distance)
Expérimentation active : Temps 4 (Niveau 1, présence)
Il est aussi intéressant de comprendre que les quatre étapes proposées (expérience concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite et expérimentation active) suggèrent l’existence de quatre façons d’apprendre, de quatre façons d’aborder l’environnement : concret, réfléchi, abstrait et actif. Une façon probablement de concilier les « méthodes » pédagogiques avec les différents styles d’apprentissage des apprenants et aussi avec les méthodes privilégiées par les enseignants.
Référence
KOLB, D.A. 1984. Experiential Learning. Experience as the Source of Learning and Development. Englewood Cliffs. NJ, Prentice-Hall.
Le cycle de Nonaka et Takeuchi (1995) (ou encore Modèle SECI : Socialisation, Externalisation, Combinaison et Internalisation) traite, à l’origine, de la constitution d’intelligence collective au sein des entreprises. Il est cependant utile comme grille de lecture de certains aspects de notre Niveau 3 des classes inversées en y ajoutant les notions de connaissances tacites ou implicites et des connaissances explicites partagées ainsi que la nécessaire systémique entre appropriation personnelle et intelligence collective.
La modélisation ci-dessus est sans doute plus hardie mais nous retenons de ce cycle les passages de l’intrapersonnel (les conceptions spontanées parfois naïves, les modèles de référence auxquels nous nous référons de manière souvent implicite, notre épistémologie personnelle …) à l’interpersonnel (le retour au groupe, la nécessité d’expliciter au travers de métaphores ou de contextes « vécus à partager », le conflit socio-cognitif, la recherche du consensus, d’hypothèses partagées, de solutions communes à investiguer) pour en revenir à des phases d’intériorisation, de restructuration … porteuses de nouvelles connaissances et compétences … partagées.
En voici une interprétation ou plutôt une adaptation au sujet qui nous intéresse ici :
Socialisation : Seul ou en petit groupe, l’apprenant part à la rencontre du contexte, des éléments de la vie quotidienne ou socio-professionnelle. Ces conceptions spontanées peuvent déjà être ébranlées par cette rencontre avec le terrain et aussi au sein du petit groupe d’explorateurs dont il fait partie. L’implicite se révèle, se traduit en situations, s’explicite : Temps 1 (Niveau 2, distance)
Externalisation : De retour en classe, l’apprenant ou son groupe étend ses représentations en les confrontant avec celles ramenées par les autres. Un langage commun s’élabore, les concepts apparaissent, des hypothèses s’élaborent … l’explicitation apporte sa force au collectif : Temps 2 (Niveau 2, présence)
Combinaison : L’organisation des variables, des connaissances explicites devient une nécessité. Le temps est venu pour la synthèse, la modélisation, la théorisation potentiellement organisatrice introduit des paramètres de convergence : Temps 3 (Niveau 1, distance)
Internalisation : La nouvelle construction collective doit maintenant être éprouvée au niveau de nouvelles situations, de l’élaboration du projet collectif, de l’application en champ réel : Temps 4 (Niveau 1, présence).
Référence
NONAKA, Ikujiro, TAKEUCHI, Hirotaka (1995). The knowledge creating company: how Japanese companies create the dynamics of innovation. New York: Oxford University Press, p. 284,
Instruire le dossier, ramener des éléments du contexte, les structurer quelque peu, les présenter d’une manière originale … (recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité …)
Expérience concrète
Socialisation : Seul ou en petit groupe, l’apprenant part à la rencontre du contexte, des éléments de la vie quotidienne ou socio-professionnelle. Ces conceptions spontanées peuvent déjà être ébranlées par cette rencontre avec le terrain et aussi au sein du petit groupe d’explorateurs dont il fait partie. L’implicite se révèle, se traduit en situations, s’explicite
FLIP 2 Temps 2 (Niveau 2, présence)
Présenter les informations et ressources trouvées, identifier les différences et repérer les similitudes, vivre un « conflit » socio-cognitif, expliciter les préconceptions, faire émerger les questions, les hypothèses … (communication, analyse, réflexivité, modélisation …)
Observation réfléchie
Externalisation : De retour en classe, l’apprenant ou son groupe étend ses représentations en les confrontant avec celles ramenées par les autres. Un langage commun s’élabore, les concepts apparaissent, des hypothèses s’élaborent … l’explicitation apporte sa force au collectif
FLIP 3Temps 3 (Niveau 1, distance)
Prendre connaissance des théories, relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée, préparer une synthèse, exercer le fonctionnement du modèle … (apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser …)
Conceptualisation abstraite
Combinaison : L’organisation des variables, des connaissances explicites devient une nécessité. Le temps est venu pour la synthèse, la modélisation, la théorisation potentiellement organisatrice introduit des paramètres de convergence
FLIP 4 Temps 4 (Niveau 1, présence)
Consolider les acquis, faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées, préparer le transfert par l’approche d’autres situations … (comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes …).
Expérimentation active
Internalisation : La nouvelle construction collective doit maintenant être éprouvée au niveau de nouvelles situations, de l’élaboration du projet collectif, de l’application en champ réel
N’hésitez pas à commenter, à ajouter votre propre « grain de sel », vos apports théoriques ou pratiques
Pour citer ce texte :
Lebrun, M. (2016). Essai de modélisation et de systémisation du concept de Classes inversées. Blog de Marcel, janvier 2016. En ligne : bit.ly/ML-Classes-inversées
- Vous pouvez vous inscrire ICI (directement « on the MOOC »)
- On recherche des animateurs occasionnels (de module) … les participants de la Saison 1, vous venez ?
Cette année 2014-2015, la formation eLearn2 sera organisée exclusivement sous la forme d’un MOOC (Massive Open Online Course) de nature connectiviste. Il s’agit pour nous d’expérimenter cette formule d’apprentissage collectif avec l’idée centrale que : pour construire une formation en ligne, il faut avoir vécu une telle formation. Un MOOC connectiviste, ça tient à la fois d’une communauté d’apprentissage et d’une communauté d’échange de pratiques.
L’espace de la formation sera proposé sur la toute nouvelle plateforme Claroline Connect (Consortium Claroline). Il profitera des deux grandes orientations majeures en matière de MOOC … hybridation quand tu nous tiens ! Un mélange de xMOOC (transmettre et recevoir des savoirs, proposer des exercices, accomplir certaines tâches comme sur edX, Coursera …) et de cMOOC (partager les connaissances de chacun et chacune, les confronter à celles des autres, créer de nouvelles connaissances, les renvoyer à la Communauté …) : un xcMOOC en quelque sorte.
Brièvement nous vous proposons :
Une formation en ligne pour les enseignants et formateurs
Une progression à votre rythme au travers de modules d’apprentissage
Une formation uniquement à distance : autonomie maximale dans la gestion de votre temps !
Des interactions au sein d’une large communauté d’apprentissage
La possibilité d’obtenir des Open Badges
Organisée conjointement par deux universités reconnues dans leur expertise de l’eLearning (UCL, Université catholique de Louvain via l’IPM et l’UCBL, Université Claude Bernard Lyon 1, via le service iCap)
Deux GO : Marcel Lebrun (UCL) et Christophe Batier (UCBL)
Acquis d’apprentissage à l’issue de la formation :
A l’issue du MOOC, vous serez capables de mobiliser, dans l’élaboration d’un dispositif pédagogique en ligne ou hybride et dans des argumentations pédagogiques, des connaissances relatives à
Les valeurs ajoutées des technologies pour l’apprentissage
La conception d’un dispositif pédagogique efficace (cohérence entre objectifs d’apprentissage, activités et évaluation)
Les activités d’apprentissage et les outils de l’eLearning
Les modes de gestion des interactions des formés
Le tutorat en ligne
Par ailleurs, vous aurez eu l’occasion de
Découvrir et pratiquer différents outils exploitables pour l’eLearning
D’analyser concrètement les complémentarités entre plateformes d’eLearning et autres possibilités des réseaux sociaux
Vous exercer à la communication médiatisée et aux interactions en ligne
Concrètement, notre espace de xcMOOC proposera :
A. Des modules d’apprentissage assez classiques mais des valeurs sûres :
1. Enseigner et apprendre en ligne,
2. Valeurs ajoutées de l’eLearning,
3. Outils de l’eLearning,
4. Objectifs d’apprentissage,
5. Méthodes et activités,
6. Evaluation certificative et formative,
7. Interactions et tutorat,
8. Enjeux juridiques,
9. Scénariser son cours et l’évaluer
Ces modules comporteront ressources, exercices, des tâches à réaliser … un xMOOC en quelque sorte. C’est notre façon de mettre à la disposition du plus grand nombre nos ressources. Mais, contrairement à une formule de formation classique en ligne, il n’y aura pas de tutorat, d’accompagnement spécifique par les responsables et accompagnateurs de la formation. Ces derniers assureront le bon fonctionnement de la formation.
Ces modules scanderont la formation à raison d’un nouveau module toutes les une ou deux semaines (formation de 3 mois).
B. Une communauté :
C’est en effet la communauté des participants au MOOC (et nous en serons) qui assurera la vie de cette dernière, qui assurera l’accompagnement, la mutualisation des pratiques, le lancement et la relance des débats … Une communauté d’apprentissage se muant en communauté de pratiques, voilà le défi. Certains viendront pour voir ou pour observer, d’autres partageront leurs pratiques, certains seront les animateurs, d’autres seront des férus technopédagogues ou encore viendront étancher leur soif de connaissances … Voici notre façon de voir la partie cMOOC.
Et quels rôles pour chacun(e) ?
De manière plus précise encore, les participants recevront, s’ils ont accompli les parcours et modules proposés, leur badge de “Participant au MOOC eLearn2″. Ceux qui se proposeront comme animateurs ou seront appelés à animer notre xcMOOC devront se constituer un portfolio (un dossier, un blog, un storify, un document avec les liens … à vos imaginations) contenant les preuves de leurs activités. Ce sera “evidence-based” ! Les animateurs pourront alors postuler pour le badge de “Animateur du MOOC eLearn2″ qui leur sera décerné par une validation conjointe des responsables et de leurs pairs. Et finalement, certains souhaiteront effectuer une petite recherche autour des pratiques, des besoins, des difficultés des uns et des autres dans la communauté. Une synthèse de leur recherche publiée dans la communauté et sur la Toile pourra leur donner accès au badge “Chercheur en MOOC : eLearn2″ …
Comme cela va-t-il se passer ?
La formation démarrera en début novembre 2014 et se terminera en février 2015. Cette ouverture de l’espace eLearn2 (la plateforme centrale eLearn2 sur Claroline Connect) sera annoncée sur les réseaux sociaux qui encadreront cette formation : Twitter avec le #elearn2 et une communauté Google+. Les inscrits au départ de ce site seront avisés personnellement par un mail contenant les informations nécessaires
Et voici les commentaires …